Nostalgiques de la «sacoche», préparez vos mouchoirs! La Dame de fer du gouvernement Charest, Monique Jérôme-Forget, déposera en mars ce qui risque fort d'être son dernier budget. On s'attend chez les libéraux à ce qu'elle accroche son armure avant la fin de 2009.

Les relations entre Mme Jérôme-Forget et le cabinet du premier ministre Jean Charest ont toujours été un peu tumultueuses. Mais la situation s'est détériorée au cours des derniers mois. Il faut dire qu'à 68 ans, Mme Jérôme-Forget avait passablement hésité avant de plonger dans la dernière campagne électorale - la rapidité avec laquelle Jean Charest a précipité le Québec en élections l'a prise de court.

Hier, la ministre a dû faire face à une escouade de journalistes bien sceptiques. L'automne dernier, alors que partout ailleurs au pays les gouvernements prédisaient que 2009-2010 serait déficitaire, elle martelait que le Québec serait épargné. Deux mois après les élections, c'était hier la retraite dans le désordre, «le ministère des Finances a été extrêmement ébranlé de ce qui s'est passé en janvier», a-t-elle soutenu.

Le poids de la Caisse de dépôt

Dans les arcanes libéraux, et surtout dans le secteur financier à Montréal, le pronostic est semblable: elle partira dans les prochains mois.

Mme Jérôme-Forget fera jusqu'en juin tous les passages obligés: bilan catastrophique de la Caisse de dépôt à la fin février, publication du budget déficitaire, le premier en 10 ans, à la fin de mars. Puis, ce sera la période fébrile de la défense des crédits budgétaires -une autre opération qui s'annonce pénible en cette période d'austérité-, ce qui nous mène à la suspension des travaux à l'Assemblée nationale, à la fin de juin.

Mais la ministre, qui estime avoir fait le tour du jardin «ne veillera pas tard en 2009» et ne devrait pas revenir pour la session d'automne, chuchotent des sources libérales. Déjà, ceux qui l'ont rencontrée en privé dans les dernières semaines trouvent qu'elle a l'air exténuée. Son impatience croissante transparaît clairement.

Depuis plusieurs années d'ailleurs, la ministre Jérôme-Forget doit composer avec le fait que son mari, l'ancien ministre Claude Forget, passe plusieurs mois par année au Mexique, dans leur somptueuse résidence de Merida - une maison si luxueuse qu'elle a fait l'objet d'un reportage photo dans le quotidien local.

Elle se rendait aussi fréquemment à Londres où se trouvent sa fille, et ses petits-enfants - une progéniture qui s'est rapprochée un peu, à New York, récemment.

Autre élément plaidant pour un départ, le plan B est évident. Quand elle aura accroché sa sacoche, Mme Jérôme-Forget sera remplacée par Raymond Bachand, qui rêve des Finances depuis qu'il a mis le pied à l'Assemblée nationale - son propre successeur est tout trouvé: Pierre Arcand, actuellement aux relations internationales, a une feuille de route d'entrepreneur bien plus que de diplomate.

Le royaume menacé

À la formation du gouvernement en décembre, Monique Gagnon-Tremblay avait exigé le Trésor, ce que n'avait pas osé lui refuser Jean Charest. Le royaume de Monique Jérôme-Forget se voyait considérablement réduit, mais elle fit changer son titre pour conserver les infrastructures et, par conséquent, la responsabilité des partenariats public-privé (PPP). Avec le financement vacillant des conglomérats susceptibles de se lancer dans ces méga projets, le dossier des PPP risque d'être houleux cette année - personne ne parle plus, sans rire, du chantier du CHUM à Montréal.

Il suffisait d'assister aux réactions québécoises au budget fédéral pour comprendre qu'un écart était apparu entre Mme Jérôme-Forget et le premier ministre. Après qu'elle eut laissé entendre que Stephen Harper avait largué le Québec, M. Charest a cru nécessaire de remettre les pendules à l'heure le lendemain et d'adoucir considérablement la sortie de sa ministre. Cette semaine encore, elle voulait remettre le sous-ministre des Finances comme chien de garde au conseil de la Caisse de dépôt, une proposition, «une hypothèse», qu'elle a elle-même considérablement édulcoré le lendemain.

Une autre fausse balle. La semaine dernière, son ministère rendait publique sa proposition pour sauver l'industrie des courses de chevaux. Une solution prestement remballée.

Mme Jérôme-Forget a eu ses écarts de langage, a traité de «cons» ses adversaires politiques, une bourde de campagne électorale qu'elle a dû rapidement rattraper. Mais, plus fondamentalement, les déboires lancinants de la Caisse de dépôt (CDP) sont à inscrire à son passif. Bien sûr, les patrons de la CDP sont responsables des pires résultats de ses 45 ans d'histoire, qui sortiront à la fin de février. Mais la gestion publique de ce dossier retombe sur le bureau de celui qui est responsable des Finances. Elle était aux commandes lors du remplacement d'Henri-Paul Rousseau par Richard Guay, une décision prise en dépit des préférences du conseil d'administration. Plongé dans la bagarre électorale, le chef libéral Jean Charest martelait que le gouvernement n'avait aucun contrôle sur la Caisse. Elle força le président du conseil, Pierre Brunet, pénard en Floride, à rentrer d'urgence à Montréal pour tenir un point de presse qui se révéla désastreux. «Je parle plusieurs fois par jour à la ministre», avoua, candide le vétéran financier. Feu «l'indépendance».

Mauvais départ

Il faut dire que cette campagne avait mal commencé aux Finances. Dans un tableau de sa synthèse économique du début de novembre, le Ministère avait publié une liste des investissements à venir pour bien montrer que la récession épargnerait le Québec. Les fonctionnaires font chaque trimestre ce même travail, mais jamais il n'est publié, livré en pâture aux analystes. Toutefois, à la veille du déclenchement des élections, il fallait démontrer que le gouvernement avait bien en main la situation. On crucifia publiquement les fonctionnaires. Ce n'était pas une première: aux Finances, quelqu'un avait vu passer le dérapage financier de l'îlot Voyageur. On savait bien aussi que le prêt à l'OACI, l'Organisation de l'aviation civile internationale, d'un cadre susceptible d'être accusé d'abus de confiance, allait déraper à coup sûr. À chaque occasion, le politique décida. Les fonctionnaires écopèrent.