À malin, malin et demi. Début août, Jean Charest pensait bien avoir cadenassé sa préférence comme candidat à la succession de Michel Bissonnet à la présidence de l'Assemblée nationale.

Pierre Paradis n'a jamais brillé par son assiduité aux caucus. Pour son malheur il était présent ce matin d'août à Sherbrooke quand Jean Charest subitement annoncé qu'il appuierait la candidature du vétéran Yvon Vallières. Longtemps leader parlementaire, resté sur la touche du Conseil des ministres, Paradis aurait pu prétendre au poste, faire campagne en coulisses, jauger ses appuis. Mais tout s'était joué si vite qu'il n'avait pas d'autres choix que d'annoncer qu'il ne serait pas candidat contre son ami Vallières.

Deux mois plus tard, rien ne va plus. Jean Charest crachait le feu hier, lui qui, depuis un an, avait patiemment construit son image de politicien magnanime. Avec une rage à peine contenue, il a accusé François Gendron qui venait tout juste de monter sur le Trône, d'avoir «manqué à la parole donnée», d'avoir été déloyal, d'avoir usé de «subterfuge» d'avoir tramé un complot et brisé une tradition bicentenaire à l'Assemblée nationale - les gouvernements sont toujours consultés dans le choix d'un président. Il faut dire qu'il faut remonter presque aussi loin pour trouver un autre gouvernement minoritaire.

Michel Bissonnet, président depuis 2003, avait été dûment «proposé» par le gouvernement. Néanmoins, à la fin de la session parlementaire, les relations étaient devenues extrêmement tendues avec le leader parlementaire libéral, Jean-Marc Fournier. Des échanges devenus si acrimonieux, que Bissonnet, habituellement conciliant, avait carrément défié le député de Châteauguay de contester ouvertement son impartialité ou de mettre fin à ses critiques incessantes. En juin, du côté libéral les quolibets fusaient même à la fin en direction du député de Jeanne-Mance, l'un des politiciens les plus populaires au Québec - il a été plébiscité maire de Saint-Léonard, avec 95% des voix.

Dans un des moments d'une rare tension, Jean Charest a refusé hier d'aller chercher avec Mario Dumont, le nouveau président Gendron, pour faire semblant de l'arracher de son siège comme le veut la tradition. Psychodrame dans l'aquarium. L'espace d'un moment les rumeurs d'élections sont reparties de plus belles, pour s'évanouir rapidement - en dehors de la Colline parlementaire, personne ne se préoccupe du président de l'Assemblée.

Dès le début de l'été, François Gendron avait laissé entendre qu'il était intéressé à la présidence, mais «qu'il n'avait pas l'intention de se lancer en campagne pour la parade», en sachant que les jeux étaient faits. Ce n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd.

Le week-end de l'Action de Grâce, le député d'Abitibi-Ouest a reçu un coup de fil d'un vieil ami, Pierre Brien, du cabinet de l'adéquiste Sébastien Proulx. Brien et Gendron se connaissent depuis longtemps, le premier était député du Bloc québécois, en Abitibi, avant passer à l'ADQ. Le constat était simple pour Brien, avec chacun un candidat à la présidence, Marc Picard pour l'ADQ et Maxime Arseneau pour le PQ, les deux partis d'opposition ouvraient la voie à l'élection du libéral Vallières. Élu sans interruption depuis 1976, cinq ans vice-président, la feuille de route de Gendron était bien plus lourde que celle de l'adéquiste Picard.

Jeudi et vendredi derniers tout s'accéléra. Simon Lajoie, le bras droit de M. Gendron fut mis dans le coup. Marc Picard confirma alors à M. Gendron qu'il retirerait sa candidature pour l'appuyer publiquement, deux heures avant la fermeture des candidatures, convenue entre les trois partis, lundi midi.

Mario Dumont avait sauté les plombs quand il avait appris, en août que tout semblait joué en faveur de Vallières. Il se souvenait trop bien de lui au Salon bleu. Dès que M. Charest parlait de la «girouette adéquiste» le bras du député Vallières se mettait à décrire de larges cercles. À la surprise générale, Mario Dumont traita de «goon», un fier-à-bras en termes de hockey, le député de Richmond, pourtant d'une affabilité remarquable.

Le premier ministre Charest avait même rencontré Mario Dumont et Pauline Marois en septembre afin de solliciter leur appui à son candidat. Ce fut un non catégorique pour M. Dumont. L'ADQ proposa d'autre noms de libéraux: François Ouimet, Jacques Chagnon, Pierre Paradis. À chaque fois Jean Charest répliqua aussi par une fin de non-recevoir.

Pauline Marois fut plus ambiguë. Mine de rien, elle rappela l'intérêt de son parti à obtenir une vice-présidence - il y en a déjà trois. Au gouvernement, on comprit vite que le PQ avait ressorti sa liste de demandes des lendemains des élections, mêlée subitement aux discussions sur la présidence. Depuis que son parti a glissé comme «deuxième opposition», le leader parlementaire n'a pas de prime - un boni salarial qu'on donne au leader de l'opposition officielle. Quant au «whip», le préfet de discipline, de la seconde opposition, s'il a sa prime, il n'a pas un sou pour engager des adjoints.

Quand le PQ annonça que Maxime Arseneau serait candidat à la présidence, les libéraux décodèrent vite. La «seconde opposition» n'avait pas l'intention d'aller à la guerre sur cet enjeu, et ultimement elle se rallierait à Yvon Vallières si celui-ci n'était pas majoritaire au premier tour du scrutin secret... C'était compter sans la filière abitibienne.

François Gendron, président de l'Assemblée nationale? Ironiquement ce dernier a déjà dit que le poste ne l'intéressait pas du tout.

C'était il y a 12 ans, l'autre député d'Abitibi, Rémy Trudel, colportait partout que son collègue était fatigué et aspirait à la sinécure de la présidence. Affaibli par cette campagne, Gendron avait été mis de côté par Lucien Bouchard et Trudel avait été appelé au Conseil des ministres.

Le plus roublard des deux l'avait emporté, déjà.