L'heure de la rentrée parlementaire avait à peine sonné que les partis de l'opposition et le gouvernement entraient en collision, à Québec. L'élection du président de l'Assemblée nationale, d'ordinaire banale, a donné lieu à une attaque en règle des libéraux contre leurs adversaires, le premier ministre Jean Charest allant jusqu'à invectiver le nouvel élu, le péquiste François Gendron.

«Est-il normal que vous-même n'ayez jamais communiqué avec quiconque de notre caucus pour nous informer de votre candidature? Est-il normal que vous ayez joué de subterfuges pour occuper le fauteuil de président de l'Assemblée nationale?» a lancé M. Charest, furieux, à l'endroit du président.

M. Gendron s'est immédiatement levé de son siège, réprimandant le premier ministre pour avoir imputé des motifs à un membre de l'Assemblée, ce qui est contraire aux règles parlementaires. L'altercation, qui a duré un bref instant, laisse présager des périodes de questions houleuses dans les prochaines semaines.

Le premier ministre accuse les deux partis de l'opposition d'avoir «caché» leurs tractations pour faire élire à la présidence de l'Assemblée un député de l'opposition, plutôt que le candidat proposé par le gouvernement, le vétéran libéral Yvon Vallières.

Première historique

«Je ne connais aucun autre Parlement de tradition britannique où un président aura été élu, envoyé au fauteuil sans qu'il y ait préalablement une consultation avec le gouvernement. Aucun. Et, en 216 ans d'histoire au Québec, ce n'est jamais arrivé», a estimé M. Charest, scandalisé.

Pour lui, les circonstances entourant l'élection de M. Gendron à la présidence «portent atteinte au climat de confiance nécessaire au fonctionnement de l'Assemblée». Il y aura des conséquences, a-t-il prévenu.

C'est donc la mine renfrognée, les bras croisés, que le premier ministre a écouté le résultat du scrutin, tenu secrètement par l'ensemble des parlementaires. Les députés de l'Action démocratique et du Parti québécois avaient annoncé la veille leur intention de se rallier derrière la candidature, annoncée à la dernière minute, du doyen de l'Assemblée nationale. Le statut minoritaire du gouvernement octroie une majorité de voix aux membres de ces deux formations politiques.

Peu de temps après l'annonce du résultat, les députés libéraux pestaient contre l'opposition, dont la manoeuvre concertée a barré la route à leur collègue libéral. «C'est l'ADPQ! C'est l'ADPQ!» a lancé l'un d'eux. Le leader parlementaire, Jean-Marc Fournier, a dû rappeler à l'ordre plusieurs d'entre eux qui se mettaient à huer le nouveau président.

Aucun membre du caucus libéral n'a applaudi lorsque M. Gendron a été élu. Le premier ministre a même refusé d'escorter, comme le veut la tradition, le président vers son siège, à l'avant du Salon bleu, d'où il dirigera les échanges de la Chambre.

«Périodes difficiles»

Questionné pour savoir si l'arrivée d'un péquiste à la présidence laissait croire à des périodes de questions plus difficiles pour le gouvernement, le whip en chef Norman MacMillan a convenu que «ce ne sera pas facile». La ministre de l'Éducation et de la Famille, Michelle Courchesne, a même dit avoir «un gros doute sur la capacité de M. Gendron d'avoir la neutralité et l'objectivité qui sont requises».

Plusieurs ministres jugent que l'opposition, par son «bris de confiance», nuit au bon fonctionnement du Parlement. «Quand on est minoritaire, ça marche par consensus. Si on ne peut plus faire confiance aux partis de l'opposition, ça complique beaucoup la façon de gérer l'État», a affirmé le ministre du Développement économique, Raymond Bachand.

Selon sa collègue des Finances, Monique Jérôme-Forget, la rupture du climat de « cohabitation » entre le gouvernement et l'opposition est « très problématique pour la gestion des finances publiques », surtout avec la crise financière actuelle. Pour faire face à cette crise, le gouvernement a besoin de la collaboration de l'opposition, qui vient de démontrer qu'« on ne peut plus lui faire confiance », a-t-elle déploré.

Le principal intéressé, M. Gendron, a pour sa part dit souhaiter que le Parlement fonctionne bien, «qu'il soit imprégné de respect mutuel, de dignité», et qu'il soit «animé de fraternité conviviale».

Plus tôt dans la journée, il avait estimé que son accession à la présidence rendrait le Parlement davantage représentatif de la situation actuelle, où la majorité des députés ne sont pas du parti au gouvernement. « Ce serait peut-être le moment venu d'arrêter de croire que l'Assemblée nationale doit relever du gouvernement », a souligné M. Gendron, député d'Abitibi-Ouest depuis 1976.

«Les vraies crises»

Les propos du premier ministre Charest ont toutefois fait bondir le whip du PQ, Stéphane Bédard, qui a qualifié ces accusations d'«orgueil mal placé». «Qu'il avale sa pilule maintenant et qu'il reconnaisse tout le mérite de François Gendron comme président de l'Assemblée. Et qu'on passe enfin aux choses sérieuses, a dit M. Bédard. Parce qu'il n'y a pas de crise, là. La seule crise que je vois actuellement, c'est la crise financière, puis chez nous, la crise forestière. Ça, c'est des vraies crises.»

À l'ADQ, qui a eu l'initiative de ce pacte, le bras droit de Mario Dumont, Gilles Taillon, a critiqué la réaction des troupes libérales. «Je ne comprends pas la baboune et je trouve l'attitude du premier ministre très mesquine dans cette affaire-là, a-t-il souligné. C'est inacceptable de ne pas accepter un vote démocratique comme celui-là.»