Une journée après avoir perturbé le discours du budget, les conservateurs ont forcé un marathon de votes à la Chambre des communes, mercredi, histoire de maintenir la pression sur le gouvernement Trudeau dans l'affaire SNC-Lavalin.

L'opposition a inscrit 257 votes au feuilleton et donné en début de soirée le coup d'envoi à une séance ininterrompue de votes qui pourrait durer de 35 à 40 heures, dépendant du nombre de députés présents... et de la ténacité des troupes conservatrices.

Les conservateurs ont eu recours à cette tactique pour punir les libéraux d'avoir voté contre leur motion qui visait à faire témoigner à nouveau l'ex-ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould.

Le chef conservateur Andrew Scheer avait signalé en matinée que ses élus n'allaient pas lâcher le morceau. Il a ouvert les portes de la réunion de son caucus aux médias pour exprimer à nouveau son indignation pendant un discours qui a duré une dizaine de minutes.

« Les Canadiens ne fermeront pas les yeux sur la corruption », a-t-il lancé. Déjà, dans la salle de réunion, le parti informait les médias que la Chambre des communes risquait de ne pas fermer dans la nuit de mercredi à jeudi.

Chez les libéraux, on pouvait constater que certains députés avaient prévu le coup, arrivant au parlement avec des oreillers et des vêtements confortables. Alors que certains d'entre eux semblaient s'y résigner avec le sourire, d'autres étaient franchement mécontents.

« C'est un geste qui, à mon avis, est petit », a pesté le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez.

« Vous savez combien ça va coûter de passer la nuit au complet ? Eux se disent que c'est justifié de payer 300 personnes leur salaire, etc., pour être ici à passer une nuit blanche à voter. Moi je pense que ces gens-là seraient mieux en train de travailler pour le pays », a-t-il tranché.

La leader du gouvernement en Chambre, Bardish Chagger, y a vu une nouvelle démonstration de mauvaise foi de la part de l'opposition. « Ça fait trois ans et demi qu'ils disent qu'ils vont faire de l'obstruction. Alors pour moi, rien n'a changé », a-t-elle lâché en mêlée de presse.

Les conservateurs arguent que la chose s'impose au nom de la démocratie. Ils jugent inacceptable que le premier ministre refuse de lever le secret professionnel que Mme Wilson-Raybould invoque pour justifier son mutisme sur ce qui s'est passé après sa rétrogradation.

Chez les néo-démocrates, Alexandre Boulerice « comprend la frustration de l'opposition ». La tactique d'obstruction parlementaire est « tout à fait logique », la gestion du temps étant « la seule arme de l'opposition », a-t-il noté.

Le Nouveau Parti démocratique veut aussi entendre une seconde fois l'ex-ministre de la Justice et tentera d'utiliser d'autres outils afin d'y parvenir, notamment en demandant à d'autres comités de la convoquer.

Le comité permanent de la justice et des droits de la personne, qui s'était penché sur l'affaire SNC-Lavalin, a mis fin à son étude mardi, jour de dépôt du budget. L'opposition s'est braquée, et chez les troupes conservatrices, on a réagi en faisant dérailler le discours du budget.

Les conservateurs ont fait un tel chahut aux Communes que l'allocution du ministre des Finances, Bill Morneau, était inaudible. Après avoir hurlé des slogans et tapé bruyamment sur leurs bureaux, ils ont finalement décidé de boycotter l'exercice et quitté l'enceinte en bloc.

À leur arrivée à la réunion du caucus, mercredi matin, des élus ont martelé qu'il était justifié de museler le grand argentier. Ils accusent les libéraux de chercher à « camoufler » l'affaire SNC-Lavalin en déposant le budget. Le fédéral présente à chaque année un budget au printemps.

Mais qu'importe, somme toute, le jeu en valait la chandelle, selon le député Jacques Gourde. « On a parlé beaucoup de nous hier (mardi) soir, et je pense qu'on a gagné le temps médiatique (sic) », s'est-il félicité en mêlée de presse.

Après avoir semblé s'en réjouir la veille, le chef bloquiste Yves-François Blanchet a critiqué le coup d'éclat conservateur.

« Écoutez, ils ont dû se faire des ampoules à force de taper sur leurs bureaux ! Et je n'ai parlé à personne [...] qui a trouvé que le comportement des conservateurs était le moindrement élégant », a-t-il affirmé en mêlée de presse.

Autre départ

Le premier ministre Justin Trudeau a pour sa part encaissé un autre coup dur, mercredi. Celle qu'il avait choisie comme secrétaire parlementaire, Celina Caesar-Chavannes, a décidé de s'en aller du caucus libéral pour siéger comme indépendante.

Le chef a lui-même annoncé avant la période des questions en Chambre le départ de l'élue ontarienne. Celle-ci a soutenu il y a quelques jours dans une entrevue au Globe and Mail que Justin Trudeau lui avait crié par la tête.

En début de journée, c'était pourtant le cas de deux autres députées libérales qui retenait l'attention : Jody Wilson-Raybould et Jane Philpott, qui ont claqué la porte du cabinet (le 12 février et le 4 mars, respectivement), mais qui sont toujours membres du caucus.

Le premier ministre Trudeau s'est dit à l'aise avec le fait que ses ex-ministres conservent un siège au sein de la députation libérale.

« Elles ont toutes les deux parlé du fait qu'elles veulent se représenter pour le Parti libéral, qu'elles croient en ce que nous faisons dans les grandes lignes, et je suis très content de pouvoir continuer à travailler avec elles », a-t-il déclaré en mêlée de presse.

L'ex-ministre Wilson-Raybould était présente à la rencontre, mais elle a quitté prématurément.

Selon ce que l'on a pu comprendre des réponses offertes par les députés libéraux, Jane Philpott n'a pas pris part à la réunion. L'ex-ministre n'a pas expliqué pourquoi elle avait démissionné.

Elle avait signalé qu'elle s'exprimerait à ce sujet à son retour à Ottawa. Mercredi, elle n'était pas encore prête à le faire. « Je suis en retard pour la période de questions. On trouvera un autre moment, cela me fera plaisir », a-t-elle dit à La Presse canadienne.