L'ex-ministre Wilson-Raybould pourra s'exprimer librement : le gouvernement a levé le secret professionnel qui l'empêchait de le faire. Ce développement survient après que les libéraux eurent bloqué une motion conservatrice sommant Justin Trudeau de témoigner au comité permanent de la justice et des droits de la personne.

Le gouvernement a publié un décret autorisant « l'honorable Jody Wilson-Raybould [...] à divulguer au comité [...] tout renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada contenu dans les informations ou communications qui ont fait l'objet de discussions directes avec elle relativement à l'exercice de ces pouvoirs alors qu'elle occupait ce poste ».

Ainsi, le gouvernement « renonce, dans la mesure où ils s'appliquent, au privilège des communications entre client et avocat et à tout autre devoir de confidentialité pertinent envers le gouvernement du Canada [...] qui ont fait l'objet de discussions directes avec l'ancien procureur général relativement à la poursuite contre SNC-Lavalin », peut-on y lire.

Mais pour « préserver l'intégrité de toute procédure civile ou pénale, cette autorisation et cette renonciation ne s'appliquent pas aux informations et communications concernant SNC-Lavalin qui ont été échangées entre l'ancien procureur général et le directeur des poursuites pénales », précise le décret.

Le premier ministre avait signalé à la période des questions que le gouvernement s'apprêtait à lever le secret professionnel qui liait l'ex-ministre, afin qu'elle puisse « discuter du dossier pertinent en comité sans compromettre les deux cas présentement devant les tribunaux », lisait-il sur une feuille de papier.

Jody Wilson-Raybould, qui était aux Communes à écouter l'opposition bombarder les libéraux de questions sur son cas et celui de SNC-Lavalin, lundi après-midi, avait auparavant envoyé au président du comité parlementaire, Anthony Housefather, une lettre en prévision de sa visite.

« J'espère comparaître devant le comité dans les meilleurs délais », peut-on lire dans la missive datée du 25 février, où l'élue fait état de son besoin d'en apprendre davantage au sujet des « contraintes » auxquelles elle pourrait être « soumise » au moment de témoigner.

« Le gouvernement peut renoncer au secret professionnel de l'avocat et lever le secret du cabinet. Je ne peux pas le faire », a ajouté Mme Wilson-Raybould. Elle réclame une trentaine de minutes pour son discours d'ouverture et se dit prête à rester aussi longtemps que désiré.

On s'attendait à ce que l'ex-ministre, qui a claqué la porte du cabinet Trudeau le 12 février dernier, offre sa version des faits devant le comité mardi, mais sa présence n'avait toujours pas été confirmée au moment de publier ces lignes, lundi soir.

Motion bloquée

Avant la publication du décret, les libéraux avaient battu une motion conservatrice stipulant que « la Chambre ordonne au premier ministre de comparaître, de témoigner et de répondre à des questions sous serment devant le comité [...] lors d'une réunion télévisée de deux heures avant le vendredi 15 mars 2019 ».

Elle a été aisément battue par un score de 155 à 106, grâce à la majorité libérale. Cette fois, personne n'a brisé les rangs chez les libéraux - la semaine passée, les députés d'arrière-ban Wayne Long et Nathaniel Erskine-Smith avaient voté en faveur d'une motion néo-démocrate qui réclamait la tenue d'une enquête publique sur l'affaire SNC-Lavalin.

Le premier ministre Trudeau était absent au moment de la mise aux voix.

Le vote a permis de constater que le front commun de l'opposition contre le gouvernement libéral ne s'effritait pas : la motion conservatrice a été approuvée par l'ensemble des élus néo-démocrates et bloquistes qui étaient présents en Chambre, et par la chef du Parti vert, Elizabeth May.

Le chef conservateur Andrew Scheer suggérait lundi matin, lors du débat sur la motion dont il était le parrain, qu'on commençait à sentir la soupe chaude dans les officines libérales. Le gouvernement « sent qu'une enquête criminelle s'en vient », a-t-il alors avancé.

Car « ce que nous avons vu se dérouler sous nos yeux au cours des deux dernières semaines constitue un parfait exemple de corruption gouvernementale et d'entreprise », a lancé le leader de la formation.

Ces propos ont provoqué la colère du libéral Kevin Lamoureux. « Ce n'est pas parce que le Parti conservateur dit "corruption" que c'est de la corruption ! Ils disent cela à tout vent au sujet de ce gouvernement », a-t-il pesté.

Dans les banquettes néo-démocrates, on a continué à déplorer les attaques dirigées à l'endroit de l'ex-ministre de la Justice et procureure générale Jody Wilson-Raybould. La députée Tracey Ramsey a évoqué une « campagne de salissage à connotation sexiste et raciste ».

Et les emplois ?

L'étude en comité se poursuivait lundi avec les témoignages de cinq spécialistes en droit venus fournir des explications sur les accords de poursuite suspendue et la doctrine Shawcross, une convention qui codifie le double rôle de ministre de la Justice et de procureur général.

Le comité parlementaire a amorcé la semaine dernière un examen de l'affaire SNC-Lavalin, qui a plongé le gouvernement dans la tourmente depuis que le Globe and Mail a écrit que le bureau du premier ministre a fait pression sur Jody Wilson-Raybould pour éviter un procès à la firme.

Le greffier du Conseil privé, Michael Wernick, a affirmé jeudi dernier devant ce comité qu'il avait informé la procureure générale de l'époque des conséquences que pourrait avoir un procès pour la firme d'ingénierie québécoise sur ses employés, fournisseurs ou retraités.

Un verdict de culpabilité pour fraude et corruption empêcherait SNC-Lavalin de soumissionner sur des contrats gouvernementaux au Canada pendant 10 ans. La compagnie cherche plutôt à conclure un accord de poursuite suspendue (APS).

Ce mécanisme, mis en place sous les libéraux en 2018, permet de suspendre des poursuites pénales contre des entreprises. En échange, celles-ci admettent les faits, puis acceptent de payer une pénalité financière salée et de coopérer avec les autorités.

Le chef conservateur Andrew Scheer est demeuré évasif lundi lorsqu'on lui a demandé ce qu'il ferait pour venir en aide à SNC-Lavalin s'il était élu premier ministre aux prochaines élections d'octobre 2019.

« On peut parler de protéger les emplois, on peut trouver des solutions pour assurer que les travailleurs ne sont pas punis à cause des actions des anciens directeurs de la compagnie », a-t-il offert en point de presse.

« Mais l'ingérence politique dans une poursuite criminelle, ce n'est jamais la solution pour protéger les emplois. On doit s'assurer que cette option n'est pas sur la table », a-t-il enchaîné, sans préciser quelles pourraient être les autres pistes de solution.