La décision controversée de Doug Ford de sabrer des services aux francophones a fait des vagues jusqu'à Ottawa, le bureau de Justin Trudeau qualifiant vendredi d'« impensable » ce « démantèlement ».

Le gouvernement progressiste-conservateur a causé une onde de choc qui s'est propagée dans la francophonie ontarienne et canadienne, en annonçant jeudi l'abandon du projet d'université francophone et la dissolution du commissariat aux services français de l'Ontario.

Au bureau du premier ministre canadien, on a condamné la décision de l'administration Ford.

« Il est impensable qu'après tout ce chemin parcouru, le gouvernement ontarien tente de démanteler le progrès réalisé par les communautés francophones pour marquer des points politiques », a écrit dans un courriel son attachée de presse Eleanore Catenaro.

« On devrait pouvoir vivre dans ces deux langues pleinement et encourager les individus et les communautés d'assumer cette fierté », a-t-elle ajouté, précisant que ce droit est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés et enchâssé dans la Loi sur les langues officielles.

La ministre responsable des langues officielles, Mélanie Joly, a abondé dans le même sens, mais en ratissant plus large.

Ces coupes à Queen's Park sont, a-t-elle argué vendredi, la « démonstration qu'à chaque fois qu'un gouvernement conservateur est élu, au fédéral comme au provincial, on voit que les francophones sont les premières victimes des compressions budgétaires ».

Les salves les plus virulentes ont été dirigées vers le chef conservateur Andrew Scheer.

« C'est M. Scheer qui lui-même décide de se pavaner un peu partout à travers le pays avec M. Ford, et c'est lui-même qui décide d'être son allié. Et 24 heures après les décisions de M. Ford [...] il n'y a toujours pas de réaction », a-t-elle lancé en entrevue avec La Presse canadienne.

Ces charges de la ministre Joly - qui avait lancé les hostilités la veille sur Twitter en exhortant Andrew Scheer à se « tenir debout » face à son « allié » Doug Ford - lui ont attiré les foudres de plusieurs élus de l'opposition officielle.

Le député Alupa Clarke est de ceux-là.

Il a reproché d'exploiter l'enjeu à des fins partisanes en cherchant à faire porter l'odieux de l'annonce du chef ontarien au chef fédéral. Selon lui, il s'agit d'un « raccourci intellectuel [...] ridicule » que de blâmer Andrew Scheer pour la décision d'« un autre ordre de gouvernement ».

Cette décision, l'élu québécois la désapprouve. « Je trouve ça décevant. On peut dire que c'est un certain recul pour les francophones en Ontario », a-t-il offert, mentionnant toutefois qu'on ne « peut s'ingérer dans une prise de décision d'un gouvernement dûment élu ».

En fin de journée, vendredi, le bureau du chef Scheer a réagi en affirmant qu'il fallait « toujours chercher à améliorer les services aux communautés de langues officielles en situation minoritaire, car le bilinguisme canadien est un atout que nous devons chérir et protéger ».

Dans cette même déclaration, on a accusé la ministre Joly de faire « de la basse politique en attaquant le chef des conservateurs, alors que le bilan de Justin Trudeau en matière de défense des CLOSM (communautés de langue officielle en situation minoritaire) est un autre échec de ce gouvernement libéral ».

Au Nouveau Parti démocratique (NPD), le député François Choquette a dénoncé par voie de communiqué cette « décision purement idéologique » qui représente « une attaque directe et inacceptable à l'endroit de nos langues officielles ».

Le premier ministre Ford a provoqué la colère de la communauté franco-ontarienne en annonçant discrètement, jeudi, dans son énoncé économique automnal, l'abandon du projet d'université francophone à Toronto et l'abolition du poste de commissaire aux services en français de l'Ontario.

Incompréhension du commissaire

Le commissaire François Boileau peine à saisir les motifs derrière la décision. « Finalement, ce dont on se débarrasse, c'est de mon salaire à moi. Ça, à la limite, je peux comprendre, mais ce n'est pas vraiment ça qui va faire en sorte qu'on va rattraper le déficit », a-t-il argué.

« J'ai l'impression qu'ils ont coupé trois postes de commissaires (français, environnement et enfance) qu'ils jugeaient tout simplement moins importants », a suggéré celui qui dit avoir été informé de la décision 30 minutes avant l'annonce.

Les employés du commissariat seront mutés au bureau de l'ombudsman.

Il s'agit d'une mince consolation pour François Boileau, qui s'inquiète néanmoins de la latitude dont ils disposeront pour réaliser le même genre de travail qu'ils faisaient au commissariat, les mandats des deux bureaux étant différents.

Mulroney sort de son mutisme

La ministre déléguée de l'Ontario aux Affaires francophones, Caroline Mulroney, était alors absente de l'Assemblée législative, jeudi. Elle se trouvait vendredi à Terre-Neuve-et-Labrador pour une rencontre fédérale-provinciale des ministres de la Justice et de la Sécurité publique.

Son bureau avait signalé qu'elle n'accorderait pas d'entrevues. Interceptée à l'aéroport, alors qu'elle s'apprêtait à rentrer à Toronto, la ministre Mulroney est sortie de son mutisme. Au micro de Radio-Canada, elle a cherché à se montrer rassurante.

« Le travail que fait le commissariat va toujours continuer. Les droits linguistiques vont être protégés ; les Ontariens auront toujours un bureau indépendant du gouvernement pour venir, pour porter plainte s'ils en ont », a-t-elle offert.

« Il y aura un agent indépendant, l'ombudsman [...] qui va pouvoir étudier ces plaintes et produire des rapports s'il le veut », a poursuivi Mme Mulroney, sans parler de l'université francophone, un projet qu'elle avait promis de concrétiser pendant la campagne électorale.

Les propos de la ministre ontarienne ne sont vraisemblablement pas à la hauteur des attentes qu'avait exprimées Mélanie Joly quelques heures auparavant.

« Je m'attends à rien de moins à ce qu'elle soit en mesure de faire reculer son gouvernement et qu'il revienne sur ses décisions », a souligné la ministre Joly en entrevue téléphonique depuis Victoria, en Colombie-Britannique.

« Si c'est le cas, je serai avec elle pour défendre les francophones. Mais je m'attends à rien de moins d'elle », a-t-elle affirmé.

Au Nouveau-Brunswick, le premier ministre désigné Blaine Higgs, dont le gouvernement conservateur minoritaire doit sa survie à l'appui de trois députés d'une formation qui voudrait abolir les services bilingues, a affirmé n'avoir pas l'intention de suivre l'exemple de Doug Ford.