Il y aura au moins un débat des chefs en français et un autre en anglais pendant la campagne fédérale. Mais rien n'oblige leur diffusion, rien n'oblige les chefs à y participer, et rien n'est prévu pour faire en sorte que les médias soient impliqués dans l'élaboration du contenu.

La ministre des Institutions démocratiques, Karina Gould, a dévoilé mardi les contours de la commission aux débats, nouvelle entité dotée d'un budget de 5,5 millions qui sera pilotée par l'ex-gouverneur général du Canada David Johnston pour l'exercice 2019.

Le cycle électoral précédent, celui de 2015, avait été marqué par un débat sur les débats à partir du moment où le chef conservateur Stephen Harper avait annoncé qu'il ne prendrait pas part à ceux qui étaient traditionnellement organisés par le consortium des télédiffuseurs.

Les libéraux avaient promis d'instaurer un « processus indépendant plus inclusif » en mettant sur pied une commission pour que cessent les « manoeuvres partisanes entourant les débats », tâche à laquelle s'est attelée la ministre Gould.

« Avec la création de la commission aux débats, le gouvernement du Canada s'assure que les débats des chefs demeurent un élément prévisible, fiable et stable des futures campagnes électorales », a-t-elle fait valoir en conférence de presse dans le foyer de la Chambre.

Les chefs qui voudront croiser le fer devront remplir au moins deux des trois critères. Ces conditions, qui ont été déterminées unilatéralement par le gouvernement libéral à partir d'un rapport, sont les suivantes :

- Avoir un député élu en tant que membre de ce parti aux Communes lors du déclenchement de l'élection ;

- Avoir l'intention de présenter des candidats dans au moins 90 % des circonscriptions électorales ;

- Avoir obtenu 4 % des votes lors d'une campagne électorale précédente ou avoir une chance légitime de remporter des sièges lors des prochaines élections.

Les chefs de tous les partis actuellement représentés aux Communes recevraient ainsi un carton d'invitation - tous, à l'exception de Maxime Bernier. Le fondateur du Parti populaire du Canada n'a aucune garantie de pouvoir être de la partie, ayant été élu sous la bannière conservatrice.

Il devrait donc se rabattre sur le critère de « la chance légitime » de remporter des sièges au prochain scrutin. Le flou entourant cette condition a été qualifié de « préoccupant » par le député néo-démocrate Nathan Cullen.

« Je ne sais pas ce que c'est. Des sondages ? Une opinion, une opinion du gouvernement, une opinion du commissaire ? », a-t-il affirmé. Et il a formulé un autre reproche : la nomination unilatérale du commissaire par les libéraux.

« Le commissaire aux débats, la personne qui est en charge, a une énorme influence sur la façon dont les débats se déroulent et devrait être une personne choisie à l'unanimité par tous les partis enregistrés », a exposé M. Cullen, se gardant néanmoins de critiquer David Johnston.

Une tentative d'« influencer »

Les conservateurs ont formulé des reproches similaires, et ils en ont rajouté une couche, le député Alain Rayes accusant le premier ministre Justin Trudeau de tenter « d'influencer les élections qui s'en viennent en 2019 en sa faveur ».

Car « on va se dire les vraies choses : est-ce qu'il y a quelqu'un qui pense qu'un chef de parti politique accepterait de ne pas faire un débat dans les deux langues officielles dans un pays qui est bilingue ? », a-t-il lâché.

En y allant de cette affirmation, il fait abstraction des événements de 2015, alors que Stephen Harper avait parti le bal en refusant de participer au débat anglophone du consortium. Il y avait finalement eu cette année-là une variété de débats organisés par une variété de médias.

Au Bloc québécois, on obtient l'assurance que le prochain chef pourra être dans l'arène d'au moins deux débats, incluant celui en anglais, ce qui n'était pas toujours gagné. Le parti a au moins un député élu, et il a obtenu 4,7 % des voix à l'échelle nationale en 2015.

Le fondateur du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier, s'est dit « très heureux » des critères qui ont été établis. Il « s'attend [...] à faire partie des débats des chefs », car il compte présenter des candidats dans les 338 comtés à l'échelle du pays.

Qu'en est-il du critère « chance légitime de remporter des sièges » ? Le Beauceron estime être en mesure de démontrer qu'il peut y arriver, et que grâce à « la plateforme que nous avons, les idées que nous avons », la commission interprétera le critère en sa faveur.

Rôle des médias

Les débats seront distribués gratuitement à tout diffuseur qui en voudra, selon ce qu'a par ailleurs spécifié la ministre Gould. Elle n'a cependant pas été en mesure de préciser quel serait le rôle des médias dans le choix du contenu et des thèmes qui seront discutés.

La leader du Parti vert, Elizabeth May, pour qui décrocher une invitation était un combat perpétuel, s'est réjouie de l'annonce libérale. Elle a dit ne pas voir de problème à ce que les médias ne soient pas assurés de pouvoir faire partie du processus.

« La presse a fait un travail exécrable ! En 2005 et en 2006, dans quatre débats, deux en anglais et deux en français, il n'y avait pas eu une seule question sur le climat. Je me souviens de ces débats », a-t-elle lancé dans le foyer des Communes.

« S'ils avaient fait un bon travail sur le contenu, je dirais qu'ils devraient continuer [...] mais je dois dire que je ne trouve aucun argument crédible pour dire qu'il est malavisé que la commission choisisse le contenu et les thèmes. On verra s'ils font pire que le consortium », a-t-elle ajouté.

Le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Stéphane Giroux, regrette de voir le gouvernement fédéral « empiéter » ainsi sur le travail des médias d'information.

« Depuis quand le gouvernement décide des règles d'un débat, décide de qui va le mener, qui va poser les questions, quelles questions vont être posées ? Ça ne se fait pas ! C'est une job qui revient aux journalistes », a-t-il lancé en entrevue téléphonique.

C'est sans compter que, selon lui, Ottawa tente de « répondre à un problème qui n'existe pas ». Car les politiciens ne sont pas forcés de « répondre aux questions d'un journaliste », mais ceux qui « décident d'agir comme ça doivent faire face aux conséquences », a argué M. Giroux.