En disant qu'il en coûterait un milliard pour déchirer le contrat de véhicules blindés légers avec l'Arabie saoudite, Justin Trudeau a eu recours à une « expression », a-t-on précisé mercredi à son bureau.

Le premier ministre est entré et ressorti de la Chambre des communes sans répondre aux questions des journalistes sur cette affirmation qu'il avait faite la veille concernant le montant de la pénalité financière qu'entraînerait l'annulation du juteux contrat de 15 milliards.

« Je ne veux pas que les Canadiens se retrouvent avec une facture d'un milliard de dollars. Alors nous manoeuvrons très prudemment », avait-il soutenu en entrevue à CBC, avançant pour une première fois combien il pourrait en coûter pour déchirer la lucrative entente.

Le montant d'un milliard a néanmoins été relayé dans plusieurs médias et fait la manchette de certains journaux, dont le Globe and Mail. Or, selon ce qu'a indiqué l'entourage de Justin Trudeau, mercredi, « c'était une expression ».

On n'a pas voulu fournir plus d'informations, sous prétexte que le contrat est confidentiel. On ne sait pas, par exemple, à qui irait le dédommagement en cas de rupture de cet accord conclu entre l'Arabie saoudite et l'entreprise canadienne General Dynamics Land System.

À sa sortie de la réunion du cabinet, mercredi, le ministre François-Philippe Champagne a affirmé ne pas vouloir « spéculer » là-dessus, se contentant de marteler que le gouvernement « regarde les termes et conditions du contrat ».

Le chef néo-démocrate Jagmeet Singh réclame des explications. « Est-ce que ce serait payé à l'Arabie saoudite ? À General Dynamics ? Quels sont les détails sur ce milliard ? C'est juste un chiffre qui a été avancé sans aucun détail additionnel », a-t-il lancé en mêlée de presse.

Son vis-à-vis conservateur, Andrew Scheer, n'a jamais voulu dire s'il faudrait se retirer de l'entente, mardi. Le porte-parole de son parti en matière d'affaires étrangères, Erin O'Toole, ne s'est pas non plus prononcé, mercredi, arguant qu'il revient aux libéraux de le décider.

L'entente des véhicules blindés légers a été signée en 2014 sous le précédent gouvernement conservateur. Elle hante les libéraux depuis que ceux-ci sont arrivés au pouvoir en raison des violations répétitives des droits de la personne par l'Arabie saoudite.

La plus récente en lice est le sordide meurtre du journaliste dissident Jamal Khashoggi. Le gouvernement Trudeau l'a fermement condamné, mais n'a imposé aucune sanction au régime de Mohammed ben Salmane.

Riyad enquête sur Riyad ?

Le gouvernement canadien ne semble pas avoir de problème avec l'idée que Riyad, qui a tenté de duper le monde entier avec ses justifications farfelues - et changeantes - de l'assassinat de Jamal Khashoggi, soit partie prenante de l'enquête sur cette sordide histoire.

Le Canada a publié mardi un communiqué commun des ministres des Affaires étrangères des pays du G7 stipulant que « l'Arabie saoudite doit mener rapidement une enquête minutieuse, crédible et transparente, en collaborant pleinement avec les autorités turques ».

Le ministre des Transports, Marc Garneau, a affirmé mercredi matin qu'il « espère » voir ce processus « se faire », exprimant du même souffle le souhait que « la communauté internationale va surveiller de très près pour que ce soit crédible ».

Et si le gouvernement n'est pas satisfait, « on s'exprimera », a-t-il offert.

Le ministre a reconnu que « c'est sûr que les versions [de l'Arabie saoudite] ont changé au fil du temps », et que « ce qui a été présenté jusqu'à présent n'a pas été transparent et consistant (sic) et croyable » aux yeux d'Ottawa.

Mardi après-midi, il avait réclamé une enquête « indépendante et transparente ». Il a été forcé d'admettre mercredi qu'il n'avait pas vu la déclaration commune des alliés du G7 avant de se prononcer sur cette question.

Sa collègue aux Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a martelé à de nombreuses reprises depuis samedi dernier que les explications de Riyad sur le meurtre du journaliste dissident, tué et démembré au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul, n'étaient ni « crédibles » ni « cohérentes ».

Chez Amnistie internationale, on souhaite qu'une investigation soit menée par les Nations unies, car on redoute que l'affaire « risque de faire l'objet d'un accord politique » ; on juge qu'« une enquête indépendante et impartiale de l'ONU aidera à révéler la vérité et les faits ».

C'est également ce que voudrait voir la porte-parole néo-démocrate en matière d'affaires étrangères, Hélène Laverdière, selon qui laisser l'Arabie saoudite prendre part à l'enquête équivaut à laisser entrer « le loup dans la bergerie ».