Loin de voir la décision du premier ministre Justin Trudeau de lui confier le ministère du Tourisme comme une rétrogradation après son passage difficile au ministère du Patrimoine, la ministre Mélanie Joly veut donner « une voix forte » à cette industrie qui représente un moteur économique essentiel pour plusieurs régions du pays et qui est, selon elle, « snobée par une certaine élite ».

Dans une entrevue accordée à La Presse, Mélanie Joly est loin d'être sonnée ou amère d'être à la tête d'un nouveau ministère qui doit, selon elle, être à l'écoute et défendre les intérêts d'un secteur névralgique qui fait vivre 1,8 million de personnes, ce qui représente un emploi sur dix au pays.

Convoquée à Ottawa en juillet pour le remaniement effectué par le premier ministre, Mélanie Joly a immédiatement mis le cap vers la Gaspésie - région touristique par excellence au Québec - après avoir endossé ses nouveaux habits de ministre responsable du tourisme.

Pour Mélanie Joly, qui est aussi ministre responsable de la Francophonie et qui a conservé le dossier des langues officielles, diriger le ministère du Tourisme constitue en quelque sorte un retour à ses premières amours - elle a touché à ce secteur dans le passé avant de faire le saut en politique, alors qu'elle travaillait dans le domaine des communications.

« Au départ, je me suis posé la question : est-ce une occasion pour moi ? Au fur et à mesure que j'ai commencé à redécouvrir le secteur, je me suis dit : "Quel beau cadeau le premier ministre m'a donné." La réalité, c'est que c'est un emploi sur dix au pays et c'est un moteur économique important dans plusieurs régions et plusieurs villes du pays », a affirmé la ministre Joly.

« En Gaspésie, les revenus issus du tourisme l'an passé étaient plus élevés que les revenus de la pêche. C'est rendu l'industrie la plus importante de la Gaspésie. Je reviens de Rivière-du-Loup. C'est une des industries les plus importantes du Saint-Laurent. Je suis allée dans les Cantons-de-l'Est, dans le coin de Sutton et Magog. [...] Je me suis rendu compte que c'est une des industries qui était peut-être snobée par une certaine élite, alors qu'elle fait vivre 1,8 million de personnes. »

Que veut dire la ministre quand elle soutient que l'industrie a été snobée ? « On ne lui donne pas la crédibilité qu'elle mérite, de façon générale. On a l'impression que cela se passe en criant "ciseaux !", alors qu'il y a des acteurs sérieux qui sont dans le domaine, qui doivent affronter des concurrents internationaux importants », a répondu la ministre.

Renforcer l'image du canada à l'étranger

Dans sa lettre de mandat, dévoilée le mois dernier, le premier ministre lui a confié la tâche d'élaborer une nouvelle stratégie fédérale en matière de tourisme d'ici les prochaines élections dans le but d'attirer notamment de nouveaux visiteurs. Pour y arriver, la ministre devra notamment travailler avec ses homologues des provinces pour renforcer l'image du Canada à l'étranger.

C'est tout un défi qui l'attend, quand on constate qu'en France - l'une des destinations internationales les plus prisées des touristes -, c'est le président de la République qui s'occupe de ce dossier, alors que le président du Mexique, lui, s'assure d'être accompagné le plus souvent possible de son ministre du Tourisme, quand il se déplace à l'étranger.

Après quelques semaines dans ses fonctions, Mme Joly dresse quelques constats : la promotion du Canada à l'étranger a été négligée depuis la tenue des Jeux olympiques d'hiver de Vancouver, et un solide coup de barre s'impose, d'autant que ce secteur connaît une croissance de 4 % par année à l'échelle de la planète. Sous le gouvernement Harper, le Canada s'est d'ailleurs retiré de l'Organisation mondiale du tourisme, organisation relevant de l'ONU dont sont membres les grands acteurs de l'industrie comme la France et la Chine.

« C'est l'une des industries les plus performantes dans le monde présentement. [...] La France reçoit 89 millions de touristes par année. En 2017, nous avons reçu 20,8 millions de personnes. Et c'était la meilleure année de notre histoire. Avant les Jeux olympiques de Vancouver, on avait investi massivement pour vendre la marque du Canada dans le monde. À l'époque, on faisait partie du top 10 des destinations du monde. Aujourd'hui, nous avons glissé au 17e rang. Donc, il y a du travail à faire pour aller chercher notre part.

« Il faut travailler avec le secteur pour aller rechercher toute la reconnaissance et toute la crédibilité auxquelles il a droit et faire comme d'autres pays qui lui accordent toute son importance, comme la France, le Mexique et la Tunisie. »

Pour attirer davantage de touristes, Mme Joly estime que l'on doit multiplier les vols directs entre les aéroports du Canada et de pays comme la Chine, où la classe moyenne croît et est friande de tourisme. À titre d'exemple, depuis l'instauration d'un vol direct Shanghai-Montréal, en 2017, le nombre de touristes chinois a bondi au Québec.

La ministre croit aussi qu'Ottawa doit simplifier ses politiques liées aux visas. Elle donne l'exemple des touristes mexicains, en hausse de 43 % au pays, notamment au Québec, depuis que le gouvernement Trudeau a aboli l'exigence d'un visa pour les ressortissants du Mexique en décembre 2016.

Photo Chris Wattie, archives Reuters

Le premier ministre Justin Trudeau a confié à Mélanie Joly la tâche d'élaborer une nouvelle stratégie fédérale en matière de tourisme d'ici les prochaines élections.

Photo Bernard Brault, Archives La Presse

« En Gaspésie, les revenus issus du tourisme l'an passé étaient plus élevés que les revenus de la pêche », lance Mélanie Joly.

Au travail, même en vacances en Tunisie

Même si elle était en Tunisie pour des vacances personnelles, en juillet, Mélanie Joly a tenu à rencontrer le ministre des Affaires étrangères du pays, Khemaies Jhinaoui, afin de forger des alliances stratégiques en prévision du sommet de la Francophonie qui aura lieu dans ce pays en 2020. « La Tunisie est un allié indispensable dans la région, mais aussi au sein de la Francophonie. Je voulais lui parler de l'importance de protéger le fait français dans une ère numérique », a dit la ministre, soulignant que les pays ayant en commun la langue française devaient se concerter pour éviter que la langue anglaise ne domine sans partage le monde du web.