Le gouvernement fédéral veut à tout prix savoir si les Canadiens connaissent bien leurs parcs nationaux. L'agence Parcs Canada a commandé au moins cinq sondages sur sa « notoriété » depuis quatre ans, qui ont coûté près de 600 000 $ aux contribuables du pays.

Ces études ont notamment permis d'évaluer le taux de citoyens qui reconnaissent « spontanément » l'existence de Parcs Canada - entre 22 % et 27 %, selon les années. Un sondage révèle aussi que la notoriété du logo de castor de l'agence a connu une hausse « d'à peu près 1 % » l'an dernier.

Cette abondance de coûteux sondages apparaît « difficilement justifiable » pour Germain Belzile, professeur au département d'économie appliquée à HEC Montréal et spécialiste de la gestion des finances publiques. « Dans le budget immense de l'État qui se compte en dizaines de milliards, ça ne paraît pas gros, ce type de dépenses, mais ça finit par s'additionner, et ce sont les contribuables qui finissent par payer », a-t-il lancé.

Ressemblances frappantes

Certaines des études commandées par Parcs Canada affichent des ressemblances frappantes d'une année à l'autre. Plusieurs paragraphes des résumés exécutifs de deux rapports préparés par la firme Earnscliffe en 2017 et 2018 présentent un langage quasi identique, à l'exception de quelques mots et des chiffres qui varient d'une année à l'autre.

Autre fait étonnant : Parcs Canada a commandé deux sondages à Earnscliffe à quatre mois d'intervalle, en mai et en septembre 2017. Les sujets étudiés sont grosso modo les mêmes et les grandes lignes des conclusions, à peu près similaires.

Le sondage réalisé en mai nous apprend ainsi que la « notoriété publique » de Parcs Canada est « restée forte » chez les Canadiens ; le deuxième nous indique que la « notoriété globale » de l'agence fédérale est « très élevée ». Ces études ont coûté respectivement 129 771 $ et 208 233 $.

Parcs Canada affirme suivre « des pratiques courantes de l'industrie du tourisme » avec ses enquêtes fréquentes sur sa notoriété.

« Ces sondages ont lieu tous les trimestres et requièrent de la constance pour des fins de comparaison. »

- Audrey Champagne, porte-parole de Parcs Canada, dans un courriel à La Presse

Ces études visent entre autres à mesurer l'efficacité des différentes activités de promotion de Parcs Canada. Mme Champagne précise que le deuxième sondage commandé à Earnscliffe l'an dernier était doté d'un échantillon plus grand et allait plus loin que les autres études annuelles. « Ce sont donc deux études différentes ayant un but et une utilisation distincts », a-t-elle avancé.

L'agence fédérale estime que les contribuables canadiens bénéficient des nombreuses enquêtes d'opinion qu'elle commande. Celles-ci représentent un « investissement minimal rapport à l'ampleur des investissements du gouvernement que ces études évaluent », a fait valoir la porte-parole.

Mascotte à 1,2 million

Ce n'est pas la première fois que Parcs Canada suscite des froncements de sourcils pour des dépenses jugées exagérées. Au début de l'année, Le Journal de Montréal a révélé que l'agence avait dépensé 1,2 million de dollars pour concevoir et promouvoir sa mascotte Parka, une jeune femelle castor, de même que 150 000 $ pour un sondage sur la satisfaction des visiteurs des parcs nationaux.

Le professeur Germain Belzile, qui est aussi chercheur associé senior à l'Institut économique de Montréal, trouve ces dépenses difficiles à justifier pour une agence gouvernementale.

« On ne parle pas d'une compagnie qui essaie d'attirer des clients et susciter la concurrence, on parle des parcs fédéraux du Canada, fait valoir M. Belzile. Si j'étais politicien de l'opposition en Chambre, je serais très intéressé à me lever pour poser des questions. »

Parcs Canada relève du ministère de l'Environnement et du Changement climatique. L'agence administre 350 000 kilomètres carrés de milieux terrestres et marins ainsi que 171 sites historiques d'un bout à l'autre du pays. Ses dépenses se sont élevées à 799,9 millions pendant le dernier exercice financier, alors que ses revenus ont totalisé 144,6 millions.

Ottawa a commencé à réinvestir massivement pour mieux promouvoir et développer ses aires protégées au cours des dernières années.

- Avec la collaboration de William Leclerc

Exemples de questions d'un sondage

Les générations futures doivent pouvoir profiter des parcs nationaux autant que les générations actuelles : 90 % tout à fait d'accord.

Tout Canadien devrait pouvoir visiter un parc national au moins une fois dans sa vie : 80 % tout à fait d'accord.

Savoir qu'il y a des parcs nationaux a de l'importance pour moi, même si je n'ai jamais la possibilité de les visiter : 80 % tout à fait d'accord.

Les parcs nationaux sont une fierté pour moi en tant que Canadien : 76 % tout à fait d'accord.

Les parcs nationaux me manqueraient beaucoup s'ils n'existaient pas : 76 % tout à fait d'accord.

Note : résultats tirés d'un sondage livré par Earnscliffe en mai 2018 au coût de 208 000 $.