Des acteurs au pays et à l'étranger vont presque certainement utiliser des médias numériques pour tenter de manipuler les électeurs et de saper l'intégrité des prochaines élections fédérales au Canada, ont affirmé des experts au gouvernement Trudeau.

Bien qu'il n'y existe pas de solution miracle pour empêcher de telles situations, le gouvernement est invité à mettre en oeuvre au moins deux mesures qui réduiront la vulnérabilité des Canadiens à la manipulation: exiger que les publicités en ligne soient totalement transparentes et obliger les médias numériques à divulguer tous les comptes automatisés ou logiciels automatisés de conversation déployés pour amplifier les messages politiques.

«Ce sont des choses simples que nous pouvons commencer à faire pour donner aux gens plus de transparence sur le fonctionnement des plateformes (numériques)», a expliqué Ben Scott, conseiller politique en matière d'innovation dans l'administration de l'ancien président américain Barack Obama.

«Et même si cela ne résout pas une grande partie du problème, cela commence à changer la manière dont les gens perçoivent les médias numériques et ouvre la voie à des interventions plus difficiles dans la régulation du marché, telles que la réglementation de la confidentialité des données et les politiques sur la concurrence», a-t-il expliqué.

M. Scott, maintenant directeur des politiques du réseau Omidyar, une fondation qui investit dans le soutien aux institutions démocratiques, était l'un des trois experts invités à s'entretenir avec le premier ministre Justin Trudeau et ses ministres lors de la retraite du cabinet mercredi et jeudi en Colombie-Britannique.

Le gouvernement a sollicité les conseils d'experts pour réfléchir aux moyens de renforcer le projet de loi C-76, un projet de loi omnibus déposé au printemps dernier et visant, entre autres, à empêcher l'ingérence étrangère dans les élections canadiennes.

La ministre des Institutions démocratiques, Karina Gould, a confirmé plus tôt cette semaine que le gouvernement est particulièrement déterminé à en faire plus pour éviter que des fonds de l'étranger ne soient impliqués dans des efforts visant à influencer les électeurs canadiens.

M. Scott a dit douter que le gouvernement ait le temps de s'attaquer à certains des problèmes plus imposants entourant les cybermenaces avant les prochaines élections d'octobre 2019. Mais il a dit qu'il pourrait s'attaquer aux «fruits près du sol».

Premièrement, il a fait valoir que toutes les annonces politiques en ligne devaient inclure un message dans une fenêtre éclair - «pop-up» - indiquant aux gens: «Voici qui a payé cette annonce, voici combien ils ont dépensé, voici combien de personnes l'ont vue et voici pourquoi vous avez été ciblés.»

«(Il devrait dire) »vous y avez été exposé parce qu'ils ont choisi ce groupe démographique, cette communauté ethnique, ce genre, cette situation géographique, cette profession, ce niveau de revenu, pour comprendre qui essaie de vous influencer et pourquoi», a-t-il ajouté.

En outre, M. Scott a soutenu que les médias numériques devraient être tenus de divulguer tous les comptes automatisés.

«Les gens devraient savoir qu'il n'y a pas d'être humain derrière ce compte», estime-t-il.

M. Scott a affirmé que le «désastre» qui a frappé le système politique américain a été accéléré par la désinformation diffusée par les médias numériques, accentuant les opinions extrêmes et provoquant «une polarisation rapide et destructrice de la culture politique américaine». Le même phénomène s'est produit de différentes manières dans le monde démocratique et le Canada ne sera pas à l'abri, a-t-il fait valoir.

«À mon avis, il ne s'agit pas de savoir si cela se produira au Canada. Cela se produira au Canada. La seule question est de savoir à quoi cela ressemblera et à quel point nous serons prêts à atténuer les effets négatifs de cette nouvelle réalité numérique?», a expliqué le directeur des politiques du réseau Omidyar.

À ce propos, M. Scott n'a pas voulu se prononcer sur le projet de loi C-76, soulignant qu'il n'est pas un expert en droit électoral canadien. Néanmoins, il a affirmé: «À mon avis, la transparence des annonces numériques et l'étiquetage des comptes automatisés devraient faire partie de tout programme complet de réforme électorale.»

Un autre expert consulté par le cabinet, Taylor Owen, professeur de médias numériques à l'Université de la Colombie-Britannique, a convenu que le projet de loi C-76 pourrait profiter d'un peu plus de chair.

«La chose qu'il pourrait faire et qui aurait un impact important serait une plus grande transparence publicitaire afin que nous sachions pour chaque élément de contenu politique qui nous est présenté en tant qu'individu: qui l'a acheté, qui est ciblé, combien a été dépensé et qui ils ont atteint», a-t-il également souligné.

«Si nous avons cela, alors au moins nous obtiendrons la transparence du système afin qu'après les élections, nous puissions tenir les acteurs responsables des tentatives d'influencer (les électeurs)», a-t-il ajouté.

M. Owen a aussi affirmé que les géants du web comme Facebook, Google et Twitter devraient être légalement tenus responsables du contenu qu'ils autorisent sur leurs plateformes. Selon lui, il n'y a aucune raison de permettre aux médias numériques de publier des discours haineux qui sont illégaux dans le monde non numérique.