Après un début de journée sous le signe de la discorde, et le premier face-à-face Trump-Trudeau depuis la débâcle du G7, les pays membres de l'OTAN ont réussi mercredi à accoucher d'une déclaration commune sur la défense. La bisbille est toutefois loin d'être terminée au sein du groupe : le président américain a encore une fois surpris ses alliés en leur demandant de doubler leurs dépenses militaires. Tour d'horizon d'un sommet riche en rebondissements.

L'un a commencé sa journée en insultant ses alliés et les journalistes présents dans la salle. L'autre, en insistant sur l'importance de l'OTAN pour protéger les «principes démocratiques» des pays occidentaux. Le fossé entre Donald Trump et Justin Trudeau est apparu plus vaste que jamais, au premier jour d'une rencontre internationale marquée par la division et les rebondissements à Bruxelles.

Le président américain a donné le ton dès les premières minutes du sommet de l'OTAN, pendant un petit-déjeuner avec le secrétaire général de l'organisation, Jens Stoltenberg. 

Donald Trump a commencé par souhaiter bonne journée aux journalistes - incluant les producteurs de «fake news» -, se disant peu après «surpris» de voir autant de «bonnes personnes» réunies dans la pièce.

Donald Trump s'est ensuite lancé dans une tirade bien sentie contre l'Allemagne. Il a accusé le géant européen d'être «totalement contrôlé par la Russie» puisqu'il y achète «une grande partie de son énergie». Les participants à cette rencontre, médusés, ont fait de grands efforts pour rester stoïques devant les caméras.

«Ils [les Allemands] paient des milliards de dollars à la Russie et nous devons les défendre contre la Russie [...]. Ce n'est pas normal», a-t-il lancé d'un ton courroucé.

Les journalistes ont été chassés de la réunion après quelques minutes de prise d'images, comme le veut la tradition dans ces grands événements internationaux.

Trudeau croise Trump

Arrivé à Bruxelles mardi soir avec une importante délégation, le premier ministre canadien n'avait aucun tête-à-tête officiel prévu avec Donald Trump. Les deux hommes ne s'étaient pas revus depuis le fiasco du G7 dans Charlevoix, lorsque M. Trump a renié le communiqué final de ce sommet en couvrant son homologue d'insultes sur Twitter.

Les deux hommes sont apparus distants pendant les événements télévisés, notamment la classique prise de «photo de famille» devant le siège de l'OTAN. Ils ont finalement eu une discussion en marge du sommet, a indiqué le cabinet du premier ministre en fin d'après-midi.

Ils ont abordé les négociations de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et l'élection d'un nouveau gouvernement au Mexique, mais on ignore si cet échange a duré quelques secondes ou quelques minutes. Le ton de la conversation n'a pas non plus été précisé par le cabinet de Justin Trudeau.

Trudeau applaudi

Plus tôt en journée, le premier ministre figurait en tête d'affiche d'une table ronde organisée parallèlement au sommet. Accompagné de la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland et du ministre de la Défense Harjit Sajjan, il a vanté les vertus de l'OTAN et du multilatéralisme - des propos diamétralement opposés à ceux de Donald Trump.

Justin Trudeau a aussi voulu remettre en perspective la façon de calculer la participation financière des 29 pays membres de l'alliance. Ceux-ci se sont engagés à dépenser 2% de leur produit intérieur brut (PIB) dans leurs budgets militaires respectifs d'ici 2024 (une cible que le Canada est loin d'atteindre), ce qui représentera une hausse globale de 266 milliards de dollars US sur six ans.

Ce ratio de 2% ne devrait toutefois pas constituer la seule mesure à prendre en compte pour calculer l'engagement réel d'un pays dans la défense transatlantique, croit M. Trudeau.

Le premier ministre a rappelé que le Canada, l'un des pays fondateurs de l'OTAN en 1949, avait pris part à toutes les missions de l'alliance au cours des six dernières décennies. Il en a profité pour annoncer le lancement d'une nouvelle mission sous commandement canadien en Irak l'automne prochain, ce qui lui a valu des applaudissements dans la salle.

«Beaucoup de gens parlent du 2%, mais annoncer une contribution n'est pas aussi important que de démontrer des résultats», a-t-il déclaré.

Dépenses militaires : Trump veut 4%

Alors que certains avaient perdu espoir de voir les alliés de l'OTAN réussir à s'entendre cette semaine à Bruxelles, les 29 pays membres ont publié en début de soirée une déclaration commune en 79 points. Ils y affirment entre autres leur volonté de durcir le ton face à la Russie et à la menace terroriste, en plus de reconfirmer leur intention d'atteindre la cible de 2% du PIB en dépenses militaires d'ici 2024.

Fidèle à son habitude, Donald Trump a lancé un nouveau pavé dans la mare après cette annonce. Même s'il a signé la déclaration qui stipulait noir sur blanc le chiffre de 2%, il a demandé aux membres de l'OTAN de faire passer la cible de dépenses militaires à 4%, a confirmé en début de soirée la Maison-Blanche.

Cette demande, qui se traduirait en centaines de milliards de dépenses supplémentaires pour les pays membres de l'OTAN, laisse présager de nouvelles prises de bec au cours des prochains mois.

Autre revirement signé Trump : il est apparu tout sourire dans un point de presse commun avec la chancelière allemande Angela Merkel en après-midi, quelques heures après avoir descendu son pays en flammes au sujet de la Russie. Il a qualifié la relation américano-allemande «d'incroyable» (terrific), l'un de ses qualificatifs favoris.

M. Trump a de nouveau changé de cap quelques heures plus tard, critiquant sur Twitter les approvisionnements allemands en gaz russe et tirant à boulets rouges sur les pays qui n'ont pas encore atteint la cible de 2%. Le président ne digère pas que l'Allemagne veuille s'approvisionner en gaz naturel auprès de la Russie par l'entremise du controversé projet d'oléoduc Nord Stream 2.

Réaction «excessive»

Qu'est-ce que les alliés peuvent faire face à ces coups de gueule imprévisibles de l'ex-vedette de téléréalité? Rien, malheureusement, estime Stephen Saideman, professeur au département d'affaires internationales de l'Université Carleton, qui se trouvait mercredi à Bruxelles.

«Les membres ne peuvent pas faire grand-chose, observe-t-il. Trump a son propre tempérament, il a réagi de façon excessive à ce qui s'est passé dans Charlevoix. S'il affronte quelque critique que ce soit, il réagit avec excès, et même quand on ne le critique pas, il réagit avec excès.»

Le sommet de l'OTAN se terminera jeudi. La prochaine rencontre des membres de l'alliance aura lieu dans deux ans. Justin Trudeau fera un bilan de la participation canadienne pendant une conférence de presse à Bruxelles en début d'après-midi, avant de rentrer à Ottawa en soirée.

Nouvelle mission canadienne en Irak

Le premier ministre Justin Trudeau a profité du sommet de l'OTAN pour annoncer une nouvelle mission canadienne en Irak. Le Canada assumera le commandement de cette mission de formation et de développement des capacités de défense de l'OTAN à partir de l'automne prochain, pour une période d'au moins un an. Quelque 250 membres des Forces canadiennes seront mis à contribution. Il ne s'agira pas de nouveaux effectifs, mais plutôt de ressources de la présente mission IMPACT en Irak, qui seront redéployées à des fins de formation.

Le Canada compte déjà plusieurs centaines de soldats en Irak - jusqu'à 850, selon le gouvernement -, impliqués dans une mission de combat contre le groupe État islamique. «Cette mission représente la prochaine étape pour le Canada à la suite du combat fructueux mené contre Daech [acronyme arabe de l'EI] pour aider à rétablir la capacité institutionnelle en Irak et jeter les bases d'une paix et d'une stabilité durables», a indiqué le bureau du premier ministre dans un communiqué.

Ottawa n'injectera pas de nouvelles sommes dans cette opération de formation en Irak, mais réallouera plutôt 40 millions qui étaient destinés à IMPACT.