Les mauvaises langues seraient tentées de dire que le gouvernement Trudeau a terminé la dernière session parlementaire sur un « high », mercredi, 24 heures après avoir vu le Sénat adopter le projet de loi C-45 qui légalise la consommation de cannabis à des fins récréatives au pays.

Les ministres responsables du dossier - la ministre de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, et le secrétaire parlementaire de ces deux ministres, l'ancien chef de la police de Toronto et député libéral Bill Blair - étaient en effet tout sourire en se présentant devant les médias pour expliquer la route qui reste à parcourir d'ici au 17 octobre, date à laquelle la marijuana deviendra officiellement légale au pays après 95 ans de prohibition.

Car l'adoption de cette loi - l'une des promesses importantes des libéraux aux dernières élections - est survenue à la toute fin d'une session qui aura été des plus difficiles pour le gouvernement de Justin Trudeau.

Le voyage désastreux du premier ministre en Inde en février, la bataille sans précédent entre l'Alberta et la Colombie-Britannique au sujet de l'agrandissement de l'oléoduc Trans Mountain - bataille qui a forcé le gouvernement Trudeau à acheter l'oléoduc de la société américaine Kinder Morgan pour la somme de 4,5 milliards de dollars pour éviter l'échec du projet -, la guerre commerciale que livre l'administration Trump au Canada et la perte du siège de Chicoutimi-Le Fjord au profit du Parti conservateur lors de l'élection partielle de lundi sont autant de dossiers qui ont causé de sérieux maux de tête au premier ministre.

Signe que les controverses d'hier peuvent parfois être ramenées à l'avant-scène de l'actualité aujourd'hui, le fameux voyage en Inde est revenu hanter Justin Trudeau, au dernier jour de la session, quand on a appris que ce séjour sur le sol indien a coûté la somme de 1,5 million de dollars aux contribuables, dont 17 000 $ uniquement pour faire venir un célèbre chef, Vikram Vij, de Vancouver à New Dehli, afin qu'il puisse préparer un copieux repas dans le cadre d'une réception offerte par la délégation canadienne.

Déjà gonflées à bloc à la suite de la victoire décisive du candidat conservateur Richard Martel dans Chicoutimi-Le Fjord, les troupes d'Andrew Scheer se sont fait un malin plaisir mercredi de poser quelques questions au sujet des coûts de ce voyage, lequel a contribué à la chute des appuis aux libéraux dans les sondages au printemps dont ils peinent encore à se remettre.

Pour bien reprendre le contrôle de l'ordre du jour à l'automne, plusieurs députés libéraux souhaitent en privé que le premier ministre présente un nouveau discours du Trône, alors que le gouvernement libéral entreprendra la dernière ligne droite de son mandat avant de soumettre son bilan au verdict des électeurs en octobre 2019, date prévue du prochain scrutin fédéral.

« Un discours du Trône serait dans l'ordre des choses en ce moment. Mais la décision appartient au premier ministre », a soutenu un député libéral du Québec, qui souhaitait garder l'anonymat.

Un tel exercice, qui survient généralement à mi-chemin d'un mandat, permettrait non seulement de rappeler quelques-uns des bons coups du gouvernement libéral, mais aussi d'énumérer ses grandes priorités alors que le compte à rebours électoral sera bien enclenché.

LE CIEL S'ASSOMBRIT

Dans l'intervalle, toutefois, d'aucuns s'attendent à ce que les nuages gris continuent de s'accumuler dans le ciel libéral et que les voies ensoleillées fréquemment évoquées par Justin Trudeau durant la dernière campagne électorale ne soient plus qu'un lointain souvenir.

Sur le front intérieur, le gouvernement Trudeau doit maintenant mener à bien le projet d'agrandissement de l'oléoduc Trans Mountain, projet qui soulève toujours la controverse en Colombie-Britannique où le gouvernement néo-démocrate de John Horgan promet de livrer une bataille plus féroce encore devant les tribunaux pour le stopper.

Le gouvernement Trudeau devra aussi se frotter à une autre province devant les tribunaux, soit la Saskatchewan, qui conteste le pouvoir d'Ottawa d'imposer une taxe sur le carbone dans les provinces qui n'ont pas encore introduit un tarif sur la pollution. L'Ontario, qui est maintenant dirigé par Doug Ford, compte appuyer la démarche juridique de la Saskatchewan.

Et il n'est pas impossible qu'Ottawa et Québec se donnent aussi rendez-vous devant les tribunaux si un citoyen décide de contester la loi québécoise sur le cannabis, qui interdit la culture de la marijuana à domicile alors que la loi fédérale, elle, permet à une personne de cultiver jusqu'à quatre plants à la maison.

« Après le dossier Trans Mountain avec la Colombie-Britannique et l'Alberta, après le dossier de la taxe sur le carbone avec l'Ontario et la Saskatchewan, on rajoute le dossier de la culture résidentielle du cannabis avec le Québec et le Manitoba. Cela veut dire que, présentement, plus de 50 % des provinces du Canada, qui représentent 79 % de la population, seront prises dans des recours judiciaires qui vont coûter des millions de dollars à l'ensemble de la population », affirmait cette semaine aux Communes le député conservateur Alain Rayes, qui est également le lieutenant politique d'Andrew Scheer au Québec.

AFFRONTEMENTS SUR LE CLIMAT

L'arrivée de Doug Ford risque d'envenimer les relations entre Ottawa et l'Ontario d'autant plus que le nouveau premier ministre a déjà signifié sa ferme intention de retirer l'Ontario de la Bourse du carbone dont font également partie le Québec et la Californie. Un tel geste forcera le gouvernement Trudeau à imposer une taxe sur le carbone en Ontario.

« Le premier ministre élu nous a informé qu'il a l'intention de se retirer du plan national sur le climat. C'est évidemment malheureux. Nous aurions préféré qu'il ne fasse pas cela. Mais puisqu'il nous a informé qu'il va le faire, nous devons continuer de nous assurer de faire croître l'économie tout en protégeant l'environnement », a averti M. Trudeau mercredi.

Et une autre province, l'Alberta, pourrait aussi mettre des bâtons dans les roues du gouvernement Trudeau relativement à ses ambitions en matière de lutte contre les changements climatiques si le chef du Parti conservateur uni, Jason Kenney, remporte les élections prévues en mai prochain.

La forte houle qui secoue les relations canado-américaines depuis un an risque donc d'ébranler tout autant les relations fédérales-provinciales au cours des prochains mois.