Près de 300 professeurs d'université et intellectuels des quatre coins du Canada demandent à Justin Trudeau de tenir sa parole et de s'assurer qu'il y aura bel et bien enquête indépendante sur l'usage de la force par l'armée israélienne dans la bande de Gaza.

Deux élus libéraux ont remis en mains propres au premier ministre, mercredi, une lettre ouverte dans laquelle les signataires expriment leur indignation face aux violences à la frontière, qui ont culminé en mai dernier, le jour du transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem.

«Le massacre du lundi 14 mai a été le point culminant d'une politique systémique initiée par Israël pour tuer et réprimer des manifestants civils non armés qui ne représentaient aucune menace pour les forces israéliennes stationnées le long du mur», est-il écrit dans la missive.

Les 280 signataires de la lettre rappellent à Justin Trudeau la déclaration qu'il a faite deux jours après ce carnage, lors duquel les tireurs d'élite de l'armée israélienne ont fait plus de 100 victimes, dont une dizaine d'enfants.

Ils le félicitent d'avoir affirmé que «l'emploi présumé d'une force excessive et de munitions réelles» était «inexcusable» - en citant ainsi le premier ministre - et de s'être ainsi «distingué des autres leaders» en ayant «le courage d'exprimer des convictions éthiques».

Les universitaires reviennent sur un autre passage du communiqué publié le 16 mai dernier: celui où le dirigeant canadien réclame «qu'une enquête indépendante soit réalisée immédiatement» sur ces événements.

«Nous vous exhortons, monsieur le premier ministre, à respecter votre parole, tranchent-ils. Il est temps pour nous, comme nation, d'élever notre voix et de se tenir debout pour les droits des Palestiniens, dont on les a privés par la force.»

«Il est temps pour la communauté internationale de se mobiliser et demander qu'Israël lève son blocus sur Gaza et se conforme à toutes les résolutions des Nations unies en lien avec Gaza et sa population», plaident les signataires.

Le bureau du premier ministre Trudeau n'avait pas encore offert de réaction au moment de publier ces lignes, jeudi.

L'enquête sur Gaza

Quelques jours après le massacre à Gaza, le Canada avait dit non à une résolution présentée au Conseil du droit de l'homme des Nations unies qui proposait l'envoi d'une équipe d'experts internationaux pour enquêter sur les violences du 14 mai dans la bande de Gaza.

La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, avait justifié cette opposition en expliquant que la proposition était «clairement biaisée» et que la politique du Canada était «de ne pas appuyer des résolutions qui isolent injustement Israël».

L'un des instigateurs de la lettre ouverte, le professeur de sciences politiques Hani Faris, avance que cela est dû au fait que «le gouvernement canadien est composé de plusieurs institutions et ministères», et que «celui des Affaires étrangères n'a pas réagi comme le premier ministre».

À l'autre bout du fil, le professeur de l'Université de Colombie-Britannique soupire. Mais il dit avoir toujours «espoir» que Justin Trudeau, «qui a prouvé à maintes occasions qu'il a le courage de se tenir debout pour défendre ses principes», tiendra parole.

C'est aussi le souhait que formule le député Robert-Falcon Ouellette, qui, avec son collègue de caucus, Marwan Tabbara, a livré la missive des universitaires au premier ministre. «Quand on donne notre parole, j'espère qu'on ne change pas», a-t-il lâché en entrevue, jeudi.

L'élu a été choisi pour faire la livraison du courrier entre autres en raison de ses origines. «Quand je parle avec les Palestiniens, ils trouvent qu'il y a un lien entre être un Autochtone et les Palestiniens, qui s'identifient en tant qu'autochtones eux-mêmes», a-t-il exposé.

Position canadienne «navrante»

Un autre signataire de la lettre, Rémi Bachand, qui est professeur de droit à l'Université du Québec à Montréal, juge que la politique étrangère du Canada dans le dossier du conflit israélo-palestinien manque d'impartialité.

Il dit avoir posé le geste «assez rare» de signer une lettre ouverte pour plaider en faveur d'une position «beaucoup plus équilibrée», et demander qu'Ottawa «soit beaucoup plus fort dans son discours (...) dans les cas où il y a des violations du droit humanitaire».

La professeure Dyala Hamzah, qui a aussi signé, va encore plus loin. Le Canada «fait preuve d'une hypocrisie absolument navrante» en disant «soutenir une résolution à deux États» tout en évitant de «condamner (...) la continuation de la colonisation», s'est-elle insurgée.

Et ce refus de condamner, c'est «parce que le vote de certains électeurs et les intérêts économiques (avec Israël) sont, pour le maintien au pouvoir du premier ministre, beaucoup plus précieux que la vie et la liberté de deux millions de personnes», a-t-elle balancé.

«Le discours »c'est la faute au Hamas«, particulièrement ignominieux, est, dans ce contexte, très utile», a conclu dans un échange de courriels Mme Hamzah, qui est chercheuse au Centre d'études et de recherches internationales (CÉRIUM) de l'Université de Montréal.

Le communiqué publié le 16 mai dernier par le bureau du premier ministre ne fait pas mention du Hamas. Quelques jours après, le chef conservateur Andrew Scheer avait réclamé pour cela un acte de contrition de Justin Trudeau.

«Les émeutes ayant mené à ces morts ont été orchestrées par le groupe terroriste Hamas (...) Le premier ministre s'excusera-t-il de sa déclaration maladroite et se joindra-t-il à moi pour condamner le rôle qu'a joué le Hamas?», lançait-il en Chambre le 22 mai dernier.

La ministre Chrystia Freeland avait pris la question.

«Le Canada demande une enquête indépendante en vue de déterminer la façon dont les agissements de toutes les parties concernées ont contribué à ces événements, notamment l'incitation à la violence par le Hamas, qui a été rapportée», avait-elle indiqué.