La décision du gouvernement Trudeau d'acheter l'oléoduc Trans Mountain et tous les actifs de base de Kinder Morgan pour la somme de 4,5 milliards de dollars provoque une avalanche de réactions.

Le chef du Parti conservateur Andrew Scheer estime que cette décision démontre que le Canada est devenu un endroit inhospitalier pour les investisseurs étrangers en raison des décisions prises par le gouvernement Trudeau depuis 2015.

« Kinder Morgan n'a jamais demandé un seul dollar d'argent des contribuables. Tout ce que cette compagnie voulait, c'était la certitude. Et aujourd'hui, le premier ministre force les contribuables canadiens à payer pour son échec », a affirmé M. Scheer, après que le ministre des Finances Bill Morneau et le ministre des Ressources naturelles Jim Carr eurent confirmé les intentions du gouvernement Trudeau de se porter acquéreur de l'oléoduc Trans Moutain.

Pour M. Scheer, il est évident que le gouvernement Trudeau a trop tardé à faire respecter les décisions rendues par l'Office national de l'Énergie et les tribunaux, après l'élection du gouvernement néo-démocrate de John Horgan en Colombie-Britannique - une lenteur qui a mené Kinder Morgan à abandonner le projet d'agrandir le pipeline Trans Mountain.

Le député néo-démocrate Alexandre Boulerice s'est pour sa part montré virulent envers le premier ministre Justin Trudeau et son ministre des Finances. « Justin Trudeau et Bill Morneau sont devenus complètement fous », a-t-il lâché, rappelant que M. Trudeau s'était engagé à faire de la lutte contre les changements climatiques sa priorité absolue et qu'il décide maintenant de nationaliser un pipeline pour en assurer l'agrandissement.

Pour la chef du Parti vert, Elizabeth May, qui vient d'être condamnée à payer une amende après avoir été arrêtée pour avoir manifesté contre le projet d'élargissement de Trans Mountain, la décision du gouvernement Trudeau d'acheter le pipeline représente « une erreur historique ».

« Le Canada vient de commettre une erreur historique », a-t-elle dit, soulignant que Kinder Morgan vient de réaliser une bonne affaire puisque la société texane avait acheté le pipeline Trans Mountain, construit en 1953, pour la somme de 550 millions en 2007.

Mais le ministre des Finances Bill Morneau affirme que cette décision demeure la meilleure option pour le gouvernement afin de protéger les emplois et la réputation du Canada auprès des investisseurs étrangers. 

Bill Morneau a annoncé mardi que le Canada achètera donc l'oléoduc Trans Mountain et tous les actifs de base de Kinder Morgan Canada pour 4,5 milliards de dollars. En retour, Kinder Morgan a accepté d'aller de l'avant avec la construction du pipeline cet été, pendant que la vente est finalisée, ce qui ne se produira probablement pas avant le mois d'août.

Une fois la vente complétée, le Canada poursuivra la construction de son propre chef en vue de vendre l'ensemble de la propriété, et le moment de la vente dépendra du moment où les conditions du marché lui permettront d'obtenir le meilleur prix.

M. Morneau a présenté les options au cabinet fédéral mardi lors d'une réunion du cabinet très matinale à Ottawa, avant qu'une décision ne soit prise sur la façon de procéder.

Exportation et développement Canada financera la transaction qui comprendra l'achat du pipeline, des stations de pompage et des droits de passage existants le long de la route entre Edmonton et Vancouver et le terminal maritime de Burnaby, en Colombie-Britannique, où le pipeline se termine et où le pétrole est chargé sur les navires-citernes pour l'exportation.

Le Canada ne prévoit pas devenir propriétaire à long terme du projet et négocie avec les investisseurs intéressés, notamment les communautés autochtones, les caisses de retraite et le gouvernement de l'Alberta. L'Alberta a également accepté de financer les coûts imprévus qui découleront de la construction du pipeline.

Le plan ressemblera à la manière dont le Canada a financé et géré les actions de General Motors et de Chrysler en 2009, afin de sauver les sociétés automobiles pendant la crise financière. Exportation et développement Canada créera notamment une société d'État pour gérer le projet.

L'accord apporte une certaine stabilité à un projet qui chambranlait depuis que la Colombie-Britannique s'est adressée aux tribunaux pour confirmer sa compétence à empêcher des flux supplémentaires de bitume dilué de traverser son territoire jusqu'à ce qu'on ait adopté de nouvelles mesures pour empêcher un déversement. La province demande aussi de nouvelles études scientifiques pour comprendre comment le bitume dilué se comporte lorsqu'il est dans l'eau.

Le Canada a le pouvoir constitutionnel de construire des projets interprovinciaux comme les pipelines, mais le premier ministre de la Colombie-Britannique John Horgan est allé en cour pour demander à un juge de se prononcer sur la question de savoir si la compétence de sa province en matière d'environnement lui permettrait de réglementer ce qui circule dans le pipeline.

Cette contestation judiciaire pourrait prendre plus d'un an à régler, mais le Canada continue de croire qu'il n'y a aucun doute sur le résultat. Le gouvernement fédéral est également persuadé qu'il prévaudra dans le cadre d'une contestation devant les tribunaux fédéraux intentée par certaines communautés autochtones au sujet de l'approbation du pipeline. Une décision dans l'affaire pourrait survenir n'importe quand.

Le Canada a approuvé le projet en novembre 2016, à la suite d'un processus d'examen environnemental élargi qui comprenait des consultations supplémentaires avec les communautés autochtones et évaluait la quantité d'émissions additionnelles qui résulteront de la nouvelle production de pétrole pour desservir le pipeline.

Le premier ministre Justin Trudeau affirme que le projet est dans l'intérêt national et qu'il constitue un élément essentiel de l'avenir économique du Canada. Il dit que le Canada perd 15 milliards de dollars chaque année en vendant son pétrole, car les États-Unis sont le seul client à l'exportation, ce qui fait baisser le prix que le Canada obtient. Un manque de capacité dans les pipelines ou dans les wagons pour acheminer le pétrole produit en Alberta nuit également au secteur de l'énergie au Canada.

Réaction à Québec

« J'espère maintenant qu'on n'entendra plus de remarques dans le reste du pays sur l'aide à Bombardier ! » a réagi le premier ministre du Québec Philippe Couillard. Il a réitéré son message en anglais: « J'espère maintenant que tout le monde peut voir que parfois le gouvernement fédéral doit intervenir pour appuyer des secteurs stratégiques de l'économie comme il l'a fait pour l'aéronautique au Québec. »

Autrement, « ce qui nous importe, c'est que les prérogatives provinciales soient  reconnues et protégées autant pour l'adoption du projet de loi qui est devant la Chambre de communes que pour les débats sur les différents projets à travers le pays. Oui, certains projets sont de juridiction fédérale pour l'approbation finale. Mais ça n'empêche pas et ça ne devrait surtout pas empêcher l'expression des juridictions provinciales dans les domaines qui les concernent ».

Questionné à savoir s'il jugeait que la décision du fédéral revenait à passer par-dessus la tête du gouvernement de la Colombie-Britannique, Philippe Couillard a préféré « laisser l'Ouest discuter de cela ». « Pour une fois, ce n'est pas le Québec qui est l'objet de conflit au Canada », a-t-il ajouté. 

Pour le péquiste Sylvain Gaudreault, « l'annonce du fédéral est absolument inadmissible et inacceptable ». « C'est littéralement un coup d'État du fédéral sur les compétences des provinces à l'égard de la protection de l'environnement, et c'est très inquiétant pour la suite des choses concernant ce qui pourrait arriver au Québec. Et il y a un milliard de dollars de la poche des Québécois qui vont servir à indemniser Kinder Morgan et construire » le pipeline.

- Avec La Presse canadienne