La nouvelle commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) le dit d'entrée de jeu : elle n'aura «aucune tolérance» envers le harcèlement sexuel et l'intimidation au sein du corps policier fédéral.

En entrevue à La Presse, Brenda Lucki se dit aussi convaincue que ses agents seront prêts pour la légalisation imminente du cannabis. Et elle s'engage à rendre la GRC plus transparente envers les médias et les citoyens, après des années difficiles où sa réputation a été mise à rude épreuve.

Dans l'antre de la GRC

À peine trois semaines après son entrée en poste, Brenda Lucki a tenu à rencontrer La Presse au quartier général ultrasécurisé de la GRC en banlieue d'Ottawa pour exposer ses principales priorités. «Je veux que notre organisation soit plus agile, plus capable, plus inclusive, plus respectueuse, plus tolérante, et je veux que les communautés que nous desservons aient totalement confiance dans notre capacité à les protéger», a-t-elle fait valoir dans un assez bon français.

La nouvelle commissaire se donne six mois pour échafauder un plan d'action précis. Et si elle estime qu'elle devra contribuer à «rebâtir» la réputation de l'organisation de 28 000 employés, elle croit aussi que la GRC reste l'un des meilleurs corps policiers au monde. «Nous ne sommes pas [une organisation] brisée», résume-t-elle.

Première femme

Au fil de ses 32 ans au sein de la GRC, Brenda Lucki a travaillé dans cinq provinces - incluant le Québec - de même qu'avec les Nations unies en ex-Yougoslavie et en Haïti. Fait non négligeable, elle est la première femme à diriger de façon permanente le corps policier fédéral. Un jalon important, reconnaît-elle.

«Le fait que tout le monde fasse remarquer que je suis la première femme commissaire, ça me fait dire qu'il reste du travail à faire. Si un homme avait été sélectionné comme commissaire, on n'aurait pas dit que c'est le 24e homme à occuper cette fonction.»

Son entrée en poste coïncide aussi avec un changement de culture forcé pour la GRC. Le corps policier a dû s'excuser en 2016 pour sa mauvaise gestion des plaintes de harcèlement sexuel et d'intimidation au cours des dernières décennies, et il a conclu un règlement de 100 millions de dollars avec les plaignantes.

Signal d'alarme

Cet épisode a constitué un «signal d'alarme» pour la GRC, dit la nouvelle commissaire. «C'est triste qu'on ait été obligé de se rendre jusque-là. Mais on ne peut pas laisser passer des évènements de la sorte. On doit apprendre de ça pour l'avenir et s'assurer qu'il n'y ait plus de harcèlement. Je n'ai aucune tolérance pour ça dans notre organisation.»

Brenda Lucki entend revoir de fond en comble la façon dont seront menées les enquêtes sur les plaintes de harcèlement sexuel ou d'intimidation au sein de la GRC. «Il y a une perception chez les employés que [les enquêtes] ne sont pas transparentes. C'est normal, parce qu'on fait nos propres enquêtes. S'il y a un système qui est meilleur que ça, on doit l'examiner, c'est sûr et certain. On va voir les autres modèles dans d'autres corps policiers, pour voir s'il y a quelque chose qu'on peut faire mieux que ce qu'on fait aujourd'hui.»

Cannabis au volant

La patronne de la GRC se montre prudente lorsqu'on aborde le dossier de la légalisation imminente du cannabis, qui suscite de nombreuses inquiétudes au pays. «Je ne peux pas dire certainement ce qui va se passer quand la législation va passer. La seule chose que je peux dire, c'est qu'on doit être prêts et s'assurer que nos membres aient le bon entraînement.»

La GRC a augmenté la fréquence des formations offertes à ses agents spécialisés en détection de conduite avec les facultés affaiblies par les drogues, souligne Brenda Lucki. La GRC compte environ 200 policiers spécialisés dans ce secteur, et 22 cours de certification seront offerts en 2018-2019 en vue d'augmenter leur nombre.

La GRC et les médias

La relation entre la GRC et les médias est loin d'être toujours facile. Le corps policier est fréquemment critiqué pour son manque de transparence et ses réponses tardives ou laconiques. La GRC s'est aussi fait pincer pour avoir espionné deux journalistes de La Presse en 2007, en vue de démasquer leurs sources confidentielles.

Brenda Lucki dit vouloir «changer la culture» de la GRC dans ce domaine. «Je veux vraiment avoir une relation positive avec les médias, affirme-t-elle. C'est sûr et certain qu'il y a des moments où on ne peut pas donner l'information au moment où les médias voudraient l'avoir. Mais je trouve que même dans les moments où peut-être on ne peut pas donner beaucoup d'information, quand c'est sous enquête, on devrait au moins dire quelque chose, et essayer de donner l'information le plus vite possible.»

Journaliste arrêté

La GRC a aussi été dénoncée par des organismes de défense de la liberté de la presse pour avoir arrêté le journaliste Justin Brake, qui couvrait une manifestation contre le projet hydroélectrique Muskrat Falls, à Terre-Neuve-et-Labrador, en 2016. Le reporter fait aujourd'hui face à des accusations criminelles de méfait et d'avoir enfreint un ordre de la cour, et il pourrait aboutir en prison. Une situation «scandaleuse», selon l'Association des journalistes pour la liberté d'expression et l'Association canadienne des journalistes.

Questionnée à ce sujet, la nouvelle commissaire de la GRC indique ne pas être au courant des détails précis de ce dossier. «Mais on doit certainement faire une revue de ce qui s'est passé et voir s'il y a quelque chose qu'on n'a pas fait selon la loi», soutient-elle.

Peuples autochtones et G7

Parmi ses autres priorités, Brenda Lucki souhaite améliorer la relation de la GRC avec les communautés autochtones, elle qui a travaillé pendant plusieurs années dans le nord du Manitoba. Le corps policier suit de près l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, dit-elle. «Je sais qu'il y a beaucoup de familles qui ont partagé leur histoire très, très triste. Ça a pris beaucoup de courage. On doit être certain d'apprendre de cette enquête.»

La commissaire aura également le mandat de diriger la GRC pendant le processus de syndicalisation de ses employés. Mme Lucki affirme par ailleurs que la GRC est fin prête pour le Sommet du G7, qui mobilisera des milliers de policiers dans Charlevoix en juin.

Réformer la GRC

Dans la lettre de mandat de la nouvelle commissaire, qui sera rendue publique aujourd'hui, le ministre de la Sécurité publique Ralph Goodale détaille les nombreux chantiers qui l'attendent. Il souligne que Brenda Lucki devra «appuyer l'organisation dans une période de transformation visant à moderniser et réformer sa culture», et aussi en faire «un lieu de travail exempt de harcèlement et de violence».

Mme Lucki a été sélectionnée par un comité indépendant, qui a ensuite formulé des recommandations au ministre Goodale.