Le gouvernement Trudeau reconnaît volontiers qu'il va contrevenir à trois traités internationaux en légalisant la consommation de marijuana à des fins récréatives. Mais le Canada n'a pas pour autant l'intention de se retirer de ces traités qui l'obligent à lutter contre le trafic, la consommation et la production de drogues, a indiqué mardi la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland.

Témoignant devant le comité des affaires étrangères et du commerce international du Sénat, la ministre Freeland a soutenu que le Canada continuera de respecter l'esprit de ces traités, même en légalisant le cannabis sur son territoire, parce qu'il poursuivra la lutte contre les autres drogues comme la cocaïne ou encore les opioïdes.

Mme Freeland a indiqué que les autorités canadiennes ont déjà expliqué les tenants et aboutissants de sa décision de légaliser la marijuana à ses principaux partenaires, y compris les pays membres du G7, et que ces derniers comprennent la voie empruntée par le Canada pour encadrer la consommation de cette drogue pour des raisons de sécurité et de santé publique.

La chef de la diplomatie canadienne a affirmé que le Canada commettrait une grave erreur en se retirant de ces traités, qui englobent plusieurs sortes de drogues.

«Nous reconnaissons que nous allons contrevenir à ces traités. Nous devons être ouverts à ce sujet. Nous croyons toutefois que nous allons continuer d'avancer dans la même direction que celle que ces traités nous invitent à suivre, c'est-à-dire que le Canada demeure déterminé à protéger la santé et la sécurité des Canadiens, et le Canada demeure prêt à travailler étroitement avec ses partenaires internationaux», a dit la ministre.

«Ces traités portent sur une multitudes d'enjeux, et le cannabis est un des nombreux sujets qui y sont abordés. Ce serait une erreur de se retirer de l'ensemble de ces traités. On a qu'a penser à la crise des opioïdes. Nous devons tous être préoccupés par cette crise», a soutenu la ministre, soulignant que la légalisation du cannabis est «une réponse canadienne à des conditions canadiennes».

À l'heure actuelle, le Canada figure parmi plus de 185 pays signataires de trois traités des Nations unies sur les drogues - la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la Convention sur les substances psychotropes de 1971 et la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988. Ces conventions exigent des États membres qu'ils adoptent des mesures appropriées afin de lutter contre le commerce de drogues illicites.

Dans le cas de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, le Canada doit donner un avis d'un an pour s'en retirer. Dans le cas des deux autres traités, il doit donner un avis de six mois.

Devant le comité, la ministre Freeland a soutenu que la décision du gouvernement Trudeau de légaliser la marijuana n'a pas entaché la réputation du pays à l'étranger, soulignant que le Canada avait été réélu en mars 2017, une semaine après le dépôt du projet de loi légalisant le cannabis, en tant que membre de la Commission des stupéfiants des Nations unies alors que le siège était convoité par plusieurs pays.

«Cela a démontré que nous avons travaillé étroitement avec nos partenaires internationaux pour leur expliquer nos intentions pour qu'ils comprennent ce que nous sommes en train de faire», a-t-elle insisté.

Le sénateur conservateur Léo Housakos a toutefois répliqué que le gouvernement Trudeau a sous-estimé les conséquences néfastes que la légalisation du cannabis aura sur les relations canado-américaines. Il a rappelé que l'administration Trump demeure farouchement opposée à la légalisation de cette drogue et que cela pourrait avoir des conséquences sur les voyageurs canadiens.

«Vous minimisez l'impact que cela va avoir sur notre plus grand partenaire commercial et notre plus grand allié, les États-Unis. (...) Il semble ne pas avoir eu de dialogue suffisant sur cet enjeu. La marijuana demeure une drogue illégale en vertu des lois fédérales aux États-Unis», a dit M. Housakos.

La ministre Freeland a répliqué que le Canada est un pays souverain qui peut choisir une voie différente de celle des États-Unis. Elle a aussi rappelé que neuf États où vivent plus de 20% de la population américaine ont déjà légalisé la marijuana à des fins récréatives et que quatre des 11 États américains limitrophes à la frontière l'ont légalisée.

«Je sais que cela a été fait à l'échelle des États américains. Mais cela démontre que c'est aussi une réalité américaine», a-t-elle dit.

DES AMENDEMENTS EN VUE

Le comité des affaires étrangères et du commerce international du Sénat est l'un des quatre comités de la Chambre haute qui étudient le projet de loi C-45 visant à légaliser la marijuana. Trois de ces quatre comités avaient jusqu'à mardi pour fournir leurs recommandations à un autre comité, qui lui décidera s'il propose des amendements au projet de loi. 

L'un d'entre eux, le comité sénatorial des peuples autochtones, a notamment suggéré de reporter «d'au moins un an» la légalisation du cannabis, plaidant que le gouvernement n'a pas suffisamment consulté les Premières Nations, Inuit et Métis. 

Le même comité recommande aussi d'exiger que le gouvernement fédéral réserve «au moins 20% des permis de production de cannabis aux producteurs qui se trouvent sur des terres qui appartiennent aux gouvernements autochtones ou qui relèvent de leur compétence». 

Le vote final sur le projet de loi doit avoir lieu le 7 juin.

- Avec La Presse Canadienne

PC

Chrystia Freeland