Après avoir entrepris les démarches au Parlement pour légaliser la marijuana à des fins récréatives au pays, le gouvernement libéral de Justin Trudeau devrait-il aussi envisager de décriminaliser la possession et la consommation de faibles quantités d'autres drogues illicites comme la cocaïne ou l'héroïne ?

Les quelque 2500 militants attendus au congrès national du Parti libéral du Canada, qui commence ce soir à Halifax, seront appelés à se prononcer sur cette résolution audacieuse, entre autres choses, alors que les stratèges libéraux souhaitent jeter les bases de leur prochain programme électoral à quelque 18 mois du scrutin fédéral.

Dans l'espoir de résoudre la crise des opioïdes, qui continue de faire des ravages dans les provinces de l'Ouest, le caucus national propose de s'inspirer du Portugal qui, en 2001, a décidé d'agir sur deux fronts pour combattre les méfaits liés à l'abus de drogues. D'une part, le gouvernement portugais a augmenté de façon marquée les services de désintoxication. Et d'autre part, il a éliminé les sanctions pénales pour la possession et la consommation d'une faible quantité de drogues illicites en imposant plutôt des sanctions administratives.

Le caucus libéral exhorte donc son propre gouvernement à traiter l'abus de drogues comme un problème de santé, et à investir dans les services de désintoxication tout en requalifiant la possession et la consommation de faibles quantités de drogues en infractions administratives.

UNE RÉSOLUTION CONTESTÉE

Même si elle est présentée par le caucus national, cette résolution est loin de faire l'unanimité dans les rangs libéraux. Plusieurs députés interrogés hier n'ont pas caché leur malaise à l'idée d'emprunter cette route - une option évoquée aussi par le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) Jagmeet Singh - alors que le projet de loi C-45 visant à légaliser la marijuana n'est pas encore adopté au Sénat et que bien du travail reste à faire, notamment dans les provinces, qui seront responsables de la distribution et de la vente du cannabis sur leur territoire.

Mais, du même souffle, les députés se sont montrés ouverts à tenir un débat robuste sur cet enjeu, au même titre qu'ils ont eu un échange musclé lorsque la résolution visant à légaliser la marijuana a fait son petit bonhomme de chemin lors d'un précédent congrès libéral pour se retrouver dans le programme électoral du parti aux élections de 2015.

« Il est important d'avoir des débats de fond sur les enjeux qui nous guettent et qui vont aussi façonner nos politiques en prévision de la prochaine élection. [...] Mais il faut faire un tri sur les résolutions qui seront adoptées. J'aime bien la résolution qui propose un programme national d'assurance-médicaments. Mais je suis plus sceptique en ce qui concerne la décriminalisation de toutes les drogues », a indiqué à La Presse le député libéral de Ville-Marie - Le Sud-Ouest - Île-des-Soeurs, Marc Miller.

« En tant que projet de société, ça prend une réflexion, je crois, un peu plus profonde. Évidemment, il y a la légalisation du cannabis qu'il faut toujours mener à bien, sachant tout ce qui se passe au Sénat. » - Le député Marc Miller

Le député libéral de Malpeque, à l'Île-du-Prince-Édouard, Wayne Easter, qui a été solliciteur général dans l'ancien gouvernement libéral de Jean Chrétien, a aussi exprimé sa vive opposition à une telle mesure. « On peut avoir le débat, mais je suis contre cette proposition », a-t-il indiqué à l'issue de la réunion hebdomadaire du caucus libéral.

Les députés libéraux de la région de Toronto, Marco Mendicino et Adam Vaughn, ont aussi abondé dans le même sens hier, estimant que le gouvernement Trudeau devait d'abord et avant tout terminer son travail pour ce qui est de la légalisation du cannabis avant d'envisager autre chose.

D'AUTRES ENJEUX CONTROVERSÉS

Parmi les autres résolutions, celle parrainée par la commission jeunesse du PLC visant à décriminaliser la prostitution risque aussi de provoquer des étincelles. « La version actuelle de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation, qui interdit l'achat de services sexuels, n'apporte que peu de protection aux travailleuses du sexe et, au contraire, les pousse à travailler dans la clandestinité et dans des conditions dangereuses », affirme la commission jeunesse dans sa résolution.

Les militants libéraux seront aussi appelés à se prononcer sur la création d'un ministère des Aînés, l'adoption d'une Charte canadienne des droits environnementaux, l'établissement d'un modèle de revenu minimum garanti et la lutte contre l'évitement fiscal et les paradis fiscaux - des thèmes qui sont chers au NPD de Jagmeet Singh.

En visite officielle à Londres, où il doit participer au Sommet du Commonwealth jusqu'à vendredi, le premier ministre Justin Trudeau ratera une bonne partie de ce dernier congrès libéral avant les prochaines élections fédérales. Il devrait toutefois prononcer un discours samedi, dernier jour du congrès.

Photo Charles Mostoller, archives Reuters

Quelque 2500 militants libéraux seront appelés à se prononcer sur une résolution visant à décriminaliser la possession et la consommation de faibles quantités d'autres drogues illicites comme la cocaïne ou l'héroïne.