Interrogé récemment par les journalistes sur les déboires du Bloc québécois, le premier ministre Justin Trudeau s'est félicité de voir que l'option souverainiste avait de moins en moins la cote au Québec.

« C'est certain que d'un côté fédéraliste, voir l'appui pour la souveraineté continuer à se réduire tranquillement dans les différents sondages au fil des années, c'est une bonne chose pour la cause fédéraliste, évidemment », a affirmé le premier ministre le mois dernier après que sept des dix députés du Bloc québécois eurent quitté le parti souverainiste, se disant incapables d'appuyer le leadership de Martine Ouellet.

Le premier ministre ajoutait toutefois un bémol. « Mais je pense que les partis politiques ont un rôle important à jouer et voir un parti se détériorer comme ça, [...] ça donne un moment de réflexion aussi. »

Cette réflexion, Justin Trudeau l'a faite en privé devant certains membres de son caucus libéral. L'implosion du Bloc québécois n'est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les succès électoraux des libéraux au Québec aux prochaines élections.

« Le premier ministre nous a bien fait comprendre que si le Bloc québécois continue de s'effondrer, on pourrait bien perdre des circonscriptions que nous avons remportées aux dernières élections parce qu'il y avait eu des luttes à quatre », a confié un député libéral sous le couvert de l'anonymat.

« Son message était clair. Il faudra redoubler d'efforts pour faire des gains au Québec. »

- Un député libéral

« Jean Chrétien nous disait toujours : "Il faut s'assurer que chacun de nos adversaires soit suffisamment fort pour diviser le vote de l'opposition." Il savait ce qu'il fallait faire pour gagner », a ajouté ce même député, qui a été témoin des trois victoires majoritaires consécutives remportées par le « p'tit gars de Shawinigan » en 1993, 1997 et 2000.

LA STRATÉGIE DE 1997

L'ancien premier ministre avait eu recours à une telle stratégie durant les élections fédérales de 1997. Voyant que le Parti progressiste-conservateur, alors dirigé par Jean Charest, arrachait des votes au Bloc québécois dans les sondages, au point que les conservateurs pouvaient espérer remporter une vingtaine de circonscriptions au Québec, Jean Chrétien avait déclaré dans une entrevue à Radio-Canada qu'il ne reconnaîtrait jamais un vote de 50 % des voix plus une, s'il y avait un autre référendum sur la souveraineté.

Cette déclaration a littéralement scié les jambes aux conservateurs de Jean Charest à deux semaines du vote et a redonné des ailes au Bloc québécois de Gilles Duceppe, qui en était alors à sa toute première campagne en tant que chef de la formation souverainiste.

Le soir des élections, le Parti progressiste-conservateur, qui tentait de redevenir un acteur sur la scène politique fédérale après avoir été presque complètement rayé de la carte en 1993, a dû se contenter de cinq sièges au Québec, et le Bloc québécois a pu sauver les meubles en obtenant 44 sièges - 10 de moins qu'aux élections précédentes. Pour sa part, le Parti libéral a mis la main sur 26 sièges - sept de plus que quatre ans plus tôt. Ces gains au Québec ont d'ailleurs permis aux libéraux de Jean Chrétien de former de justesse un deuxième gouvernement majoritaire de suite.

LE SALUT D'UNE MAJORITÉ

À quelque 18 mois des prochaines élections fédérales, les stratèges libéraux sont aussi convaincus que le salut d'un deuxième gouvernement majoritaire de suite passe par de nouveaux gains au Québec. Ces gains, calcule-t-on, serviront à compenser les inévitables pertes de sièges dans les provinces de l'Ouest, en Ontario et vraisemblablement dans les provinces atlantiques, où les libéraux ont raflé les 32 sièges que compte cette région au dernier scrutin, un exploit qu'une formation politique peut difficilement rééditer.

Le Parti libéral détient 41 des 78 sièges que compte le Québec à la Chambre des communes. Le NPD compte 16 sièges dans la province, tandis que le Parti conservateur en a 11. Le Bloc québécois n'a plus que trois sièges et sept anciens bloquistes forment le Groupe parlementaire québécois. Enfin, il y a un siège vacant (Chicoutimi-Le Fjord).

Depuis quelques semaines, et surtout depuis la visite officielle désastreuse de Justin Trudeau en Inde, les sondages montrent que le Parti conservateur est en hausse dans les intentions de vote.

Tant et si bien que, selon l'expert en sondages Eric Grenier, de la CBC, une moyenne d'une quinzaine de sondages nationaux effectués depuis janvier place le Parti conservateur en tête avec 37,7 % des appuis, soit quatre points de pourcentage de plus que le Parti libéral (33,7 %). Le NPD arrive troisième avec 18,5 %. 

Avec de tels résultats, les conservateurs d'Andrew Scheer auraient de bonnes chances de former un gouvernement majoritaire.

« Nous n'avons pas à faire quoi que ce soit pour que les libéraux perdent des plumes. Justin Trudeau fait le travail tout seul », ironise-t-on dans les rangs conservateurs.

Au Québec, le dernier sondage mené par la firme Léger indiquait que le Parti libéral est toujours en tête dans les intentions de vote avec 41 %, mais qu'il a subi un recul de six points depuis le début de l'année. Le Bloc québécois ne recueille plus que 12 % des appuis - un résultat qui pourrait entraîner sa disparition - et la chute de ses appuis profite au Parti conservateur (22 %, une hausse de quatre points) et au NPD (16 %, un bond de quatre points).

En coulisses, des députés libéraux commencent à montrer des signes d'inquiétude devant les faux pas commis par leur meilleur atout durant la dernière campagne - Justin Trudeau. Et les déchirements bloquistes provoqués par le leadership de Martine Ouellet pourraient leur infliger un sérieux « mal de Bloc » électoral s'ils devaient entraîner la disparition de cette formation souverainiste qui a régné en maître sur le Québec pendant près de 20 ans avant d'être délogée par la vague orange en 2011.