Le gouvernement canadien se tourne vers les experts des services secrets pour s'assurer que la vie privée des Canadiens est protégée contre tout détournement de renseignements personnels à partir des médias sociaux.

Et le président du Conseil du Trésor, Scott Brison, se dit ouvert à resserrer les lois fédérales sur la protection des renseignements personnels, afin de protéger davantage encore les utilisateurs de médias sociaux. M. Brison, qui est aussi actuellement ministre par intérim des Institutions démocratiques, a indiqué mardi à Ottawa qu'il avait demandé l'expertise des services secrets et du Centre de la sécurité des télécommunications - le service d'espionnage électronique du gouvernement canadien.

Pendant ce temps, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a annoncé qu'il ouvrait formellement une enquête afin de déterminer si les informations personnelles de certains Canadiens pourraient avoir été compromises. Il vérifiera aussi si Facebook a enfreint la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques.

«Les allégations mentionnées dans les reportages des médias soulèvent des questions très graves du point de vue de la protection de la vie privée. Le monde numérique et les médias sociaux en particulier font partie intégrante de nos vies au quotidien et les citoyens veulent que leurs droits soient respectés», a indiqué le commissaire Daniel Therrien dans un communiqué.

L'analyste canadien Christopher Wylie soutient depuis quelques jours que la firme britannique Cambridge Analytica a obtenu de façon inappropriée les données privées d'utilisateurs de Facebook afin de les utiliser notamment pour soutenir la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016.

Le New York Times et The Observer à Londres soutiennent que l'équipe Trump avait demandé à Cambridge Analytica de récolter des renseignements personnels de profils Facebook de plus de 50 millions d'utilisateurs. L'équipe Trump a nié samedi avoir utilisé ces données, affirmant qu'elle s'était plutôt servie des informations recueillies par le Comité national républicain.

M. Wylie a soutenu dans des entrevues que Cambridge Analytica avait utilisé des renseignements personnels de Facebook pour dresser des «portraits d'électeurs», faisant passer selon lui à un niveau supérieur la diffusion de fausses informations - les «fake news». Cambridge Analytica a «nié catégoriquement» les allégations selon lesquelles elle aurait obtenu ces données de façon inappropriée. Son conseil d'administration a toutefois suspendu mardi le directeur général, Alexander Nix, pendant l'enquête en cours.

De nombreux élus dans le monde s'indignent que des données colligées par Facebook et d'autres médias sociaux puissent tomber ainsi entre les mains de tiers et altérer le résultat d'élections. Ces informations soulèvent aussi des craintes au Canada, où des élections générales sont prévues dans les deux plus importantes provinces cette année - en Ontario en juin et au Québec en octobre; des élections fédérales sont aussi prévues pour octobre 2019.

Facebook menace de poursuites

Chez Facebook, le directeur juridique adjoint, Paul Grewal, admet que «si les informations rapportées sont vraies, il s'agit d'une violation majeure» des règlements de l'entreprise. «Toutes les parties impliquées (...) nous ont certifié avoir détruit les données en question. Or, à la lumière de nouvelles informations laissant entendre que les données n'ont pas été détruites, nous avons pris la décision de suspendre ces trois parties de Facebook, dans l'attente de détails supplémentaires.»

M. Grewal promet que Facebook «entreprendra des actions à l'encontre de toutes les parties fautives» - SCL Group/Cambridge Analytica, Christopher Wylie et le psychologue Aleksandr Kogan.

Au cabinet du ministre Brison, on soutient que le gouvernement a communiqué avec Facebook pour que la compagnie détermine si des Canadiens ont été touchés par le détournement de renseignements, et pour savoir ce qu'elle entend faire afin qu'une telle chose ne se reproduise jamais plus.

Un cadre international?

De son côté, le Nouveau Parti démocratique demande au gouvernement Trudeau de militer, au prochain sommet du G7, pour l'élaboration d'un cadre international afin de contrôler davantage les activités de médias sociaux comme Facebook. Le député Charlie Angus croit que si des géants comme Facebook peuvent altérer des résultats électoraux, ils doivent rendre des comptes sur leurs activités.

M. Angus estime que Facebook a la responsabilité juridique internationale de protéger les renseignements personnels de ses abonnés contre toute utilisation malfaisante. Et il soutient que Facebook se comporte de façon cavalière à ce chapitre. «Si l'on en croit les allégations, Cambridge Analytica a pu contourner Facebook afin d'utiliser les renseignements personnels des utilisateurs et créer la machine de propagande idéale.»

À la période de questions en Chambre, mardi, Justin Trudeau a indiqué qu'il avait souvent discuté avec ses homologues du G7 de ces questions de protection de la vie privée et du processus démocratique.

Le commissaire à la vie privée, Daniel Therrien a déclaré qu'il était en contact avec les autorités du Royaume-Uni, qui enquête sur le sujet. Les députés britanniques ont déjà convoqué en comité parlementaire le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg. Le Parlement européen a aussi annoncé lundi qu'il mènera une enquête.

L'action de Facebook a plongé de 6,77%, lundi, à la Bourse de New York.