Afin d'éviter qu'une arme ne se retrouve entre les mains d'individus qui pourraient en faire un usage funeste, le gouvernement Trudeau propose de fouiller de manière exhaustive dans le passé de tous ceux qui demandent un permis pour posséder une arme à feu et de tous ceux qui soumettent une demande de renouvellement obligatoire tous les cinq ans .

Tel est l'un des principaux changements proposés par le ministre de la Sécurité publique Ralph Goodale dans le projet de loi C-71 visant à modifier les règles en matière de contrôle des armes à feu qu'il a déposé hier à la Chambre des communes.

À l'heure actuelle, la loi exige que les autorités examinent les antécédents d'un individu durant les cinq années précédant la date de sa demande de permis. Ainsi, si, durant sa vie, un demandeur a déjà été déclaré coupable ou absous de certaines infractions telles que le harcèlement criminel, le trafic de drogues ou d'armes à feu, il se verra refuser le permis.

De même, si un individu a déjà été traité durant sa vie pour une maladie mentale et qu'il a montré des signes de violence ou a proféré des menaces, sa demande sera rejetée. Enfin, si le demandeur a déjà eu un comportement attestant la menace, la tentative ou l'usage de la violence, il essuiera un refus de la part des autorités.

«Bien que le Canada soit l'un des pays les plus sûrs au monde, l'augmentation de la criminalité liée aux armes à feu a causé trop de violence et pris trop de vies dans diverses collectivités. Elle a tragiquement coûté la vie à des innocents, à des enfants et à des policiers d'un océan à l'autre », a affirmé hier le ministre Ralph Goodale.

« Ce projet de loi, combiné avec les autres mesures, démontre notre engagement concret à rendre notre pays moins vulnérable au fléau de la violence commise à l'aide d'armes à feu, tout en étant juste envers les propriétaires et les entreprises d'armes à feu responsables et respectueux des lois », a ajouté le ministre, qui était entouré de plusieurs de ses collègues féminines du cabinet durant son point de presse.

En 2016, il y a eu 2465 infractions criminelles impliquant des armes à feu, une hausse de 30 % comparativement à 2013, selon Statistique Canada. Les homicides perpétrés à l'aide d'armes à feu ont augmenté de 66%, passant de 134 homicides en 2013 à 223 en 2016, toujours selon les données de Statistique Canada.

Durant la campagne électorale, les libéraux de Justin Trudeau ont promis de resserrer les règles en matière d'armes à feu, mais ils ont écarté l'idée de rétablir le registre des armes à feu, aboli par l'ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper en 2012.

Parmi les autres changements proposés, les entreprises (et non pas les vendeurs privés) devront conserver des dossiers sur tous les armes à feu sans restriction vendues et leurs acheteurs pendant une période de 20 ans. Cette pratique existait entre 1979 et 1995, mais elle a été abandonnée dans la foulée de la création du registre des armes à feu. Les registres des ventes pourront être utilisés par les corps policiers dans le cadre de leurs enquêtes pour retracer systématiquement les armes à feu utilisées lors de crimes. Mais les policiers devront au préalable obtenir une autorisation judiciaire avant d'obtenir les informations.

Dans le cas de la vente privée d'une arme à feu sans restriction - un phénomène facilité par l'internet - le vendeur devra vérifier la validité du permis de possession d'armes à feu de l'acheteur potentiel en consultant la base de données du Programme canadien des armes à feu (PCAF). À l'heure actuelle, la vérification du permis se fait sur une base volontaire. Un vendeur qui omet de faire une telle vérification pourrait encourir une peine de prison maximale de cinq ans. 

Le projet de loi C-71 abroge aussi une directive adoptée sous les conservateurs qui permettait au gouvernement d'abaisser la classification des armes à feu. Ce pouvoir est remis entre les mains de la GRC. Au passage, Ottawa renvoie dans la catégorie des armes prohibées deux groupes d'armes, le CZ 858 et SwissArms. Toutefois, une clause de droit acquis a été incorporée afin de me pas pénaliser les actuels propriétaires de ce type d'armes. Ils bénéficieront d'une période d'amnistie de trois ans pour se conformer aux nouvelles exigences.    

En point de presse, le ministre Goodale a insisté pour dire que cela ne représentait pas une sorte de registre des armes à feu déguisé. Il s'est dit convaincu d'avoir déposé un projet de loi «équilibré » qui traduit le consensus canadien sur le contrôle des armes.

Réactions inutile, dit le parti conservateur

Le Parti conservateur a soutenu que le projet de loi est un gros coup d'épée dans l'eau qui ne permettra pas de combattre la violence armée des gangs de rue. « On ne peut pas faire confiance aux libéraux et à leur mesure législative sur les armes à feu, parce qu'ils ne ciblent pas les criminels qui utilisent des armes à feu pour commettre des crimes violents, mais traitent les propriétaires d'armes à feu respectueux des lois comme des criminels.  Les conservateurs vont s'opposer fermement à toute tentative des libéraux de créer un nouveau registre des armes d'épaule », affirme le Parti conservateur dans un communiqué.  L'Association canadienne pour les armes à feu a aussi dénoncé le projet de loi. Pour sa part, le NPD a dit appuyer le projet loi du gouvernement Trudeau.

Des mesures insuffisantes, selon les survivants de fusillades

Les témoins, survivants et familles des victimes des tueries à l'École Polytechnique, au Collège Dawson et à la Mosquée de Québec ont soutenu que les mesures proposées sont « inutilement faibles. Selon eux, le gouvernement Trudeau a cherché à « minimiser le mécontentement du lobby des armes à feu ». « Malgré notre déception, nous ne voulons pas que ce projet de loi échoue », a dit Nathalie Provost, un survivante de la tuerie de Polytechnique.

Accueil favorable à Québec

Le projet de loi fédéral a été bien accueilli à Québec, qui a lancé son propre registre des armes d'épaule à la fin janvier. Le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a rappelé qu'il avait déjà demandé à son homologue fédéral Ralph Goodale de resserrer la vérification des permis des acquéreurs d'armes. C'est précisément ce que prévoit le projet de loi fédéral, a noté M. Coiteux. «Le Parti libéral du Canada, lors de la dernière campagne électorale, avait annoncé son intention de bouger en la matière, a noté le ministre. Donc moi, je vois ça de manière très favorable, effectivement, que le gouvernement dépose un projet de loi à cet effet.»

-Avec Martin Croteau et la Presse canadienne