Malgré les encouragements à dénoncer les cas d'inconduites sexuelles, les employés parlementaires dont le statut d'emploi est précaire hésitent à les signaler, selon des données compilées par La Presse canadienne.

Un questionnaire sur les inconduites et le harcèlement sexuels envoyé aux employés de députés, de sénateurs et de ministres dans la foulée du mouvement #moiaussi permet de dresser un portrait de la situation sur la colline du Parlement. En tout, 266 personnes des deux sexes y ont répondu de façon anonyme. La Presse canadienne n'est donc pas en mesure de vérifier les détails qui y sont révélés.

Harcèlement sexuel

Le quart des répondants ont avoué avoir été victimes de harcèlement sexuel le plus souvent par un autre député que celui pour lequel ils travaillent ou par un collègue. Plus de la moitié ont affirmé n'en avoir jamais vécu sur la colline du Parlement et le reste a choisi de ne pas répondre à cette question.

Dans la plupart des cas, le harcèlement a pris la forme de commentaires, de blagues, de gestes inappropriés ou d'avances de nature sexuelle non désirées.

« Un parlementaire me téléphonait souvent sur mon cellulaire de travail et me disait des choses inappropriées (me demander d'avoir ses enfants, m'offrir un emploi, me demander de rencontrer mes parents) même si j'avais décliné ses invitations plusieurs fois », a révélé l'une des répondantes.

« Une main sur la cuisse de la part d'un homme en (position) d'autorité », a décrit une autre.

« Elle agissait de façon suggestive tout en sachant que j'étais un homme marié », a raconté un employé de sexe masculin.

Bien que le harcèlement sexuel semble toucher davantage de femmes, des hommes ont aussi affirmé en avoir subi de la part des deux sexes.

Le comportement problématique pouvait également émaner du député ou du sénateur pour lequel la personne travaillait, d'un superviseur, d'un lobbyiste et, dans deux cas, d'un journaliste ou autre employé d'un média.

Plus des trois quarts des personnes qui rapportent avoir vécu du harcèlement sexuel ont choisi de ne pas signaler l'incident qui les a le plus marqués. Trente-six personnes ont affirmé croire que l'incident n'était pas assez sérieux pour mériter une plainte. D'autres craignaient l'impact négatif sur leur carrière, avaient peur de ne pas être pris au sérieux ou ne croyaient pas qu'une plainte changerait quoi que ce soit. Vingt personnes ne savaient pas où signaler l'incident. Les répondants pouvaient choisir plus qu'une réponse à cette question.

« (...) c'était un politicien d'un autre palier et je ne voulais pas mettre la députée (pour laquelle je travaillais) dans l'embarras, raconte une employée. Avec du recul, je regrette. »

« J'étais tellement perturbée par les remarques que je ne savais pas quoi faire, écrit une autre répondante. J'avais peur d'empirer la situation. »

« Pouvez-vous imaginer combien j'aurais eu l'air ridicule ? Je suppose que la plupart des hommes auraient été flattés, mais j'ai plutôt senti qu'on m'avait manqué de respect », révèle un employé.

« Je lui ai dit de cesser son comportement (déplacé) et elle a arrêté », raconte un autre.

Agressions sexuelles

Les agressions sexuelles sur la colline du Parlement semblent être moins fréquentes que les cas de harcèlement sexuel, selon les réponses obtenues. Vingt personnes ont avoué avoir été agressées dans leur milieu de travail, qu'il s'agisse de touchers ou de baisers non désirés. Une seule personne a rapporté avoir été violée. Près des trois quarts des répondants ont affirmé n'avoir jamais subi ce type d'agression dans le cadre de leur travail.

Comme pour le harcèlement sexuel, la majorité des gestes ont été posés par un autre député que celui pour lequel les répondants travaillent ou par un collègue. Dans d'autres cas, il s'agissait soit du sénateur pour lequel la victime travaillait, d'un chef de cabinet ou de quelqu'un à l'emploi d'un média.

Seulement deux personnes ont signalé l'agression sexuelle dont elles disent avoir été victimes au leadership de leur parti et à l'administration du Sénat. Les autres ont préféré se taire. Dans les deux cas, il n'y a pas eu de suite.

« La plainte a été rejetée, écrit une employée. On ne m'a pas crue. »

« On a ignoré mon histoire », écrit l'autre.

Comme pour certains cas de harcèlement sexuel, ces agressions ont parfois eu de graves conséquences sur les personnes qui les ont subies. Certaines affirment avoir vécu une dépression, voire un choc post-traumatique, et d'autres problèmes de santé, d'autres se sentent plus nerveuses et méfiantes envers leurs collègues ou ont modifié leur façon de se vêtir.

« J'ai remis en question mon orientation sexuelle après avoir été agressé par un autre homme », écrit un répondant.

Par contre, quelques victimes de harcèlement sexuel ont considéré cette expérience comme un incident qui leur a ouvert les yeux et qui les a rendues plus fortes.

« Je ne dis pas que c'est une bonne expérience, mais ça m'a incitée à changer le monde », écrit une employée.

Question de culture ?

Certains facteurs contribuent à banaliser les inconduites et le harcèlement sexuels sur la colline du Parlement, selon de nombreux répondants qui ont pointé l'absence de sécurité d'emploi et l'accès à l'alcool lors de réceptions après le travail.

« À mon avis, c'est quelque chose que nous devons endurer parce que nous pouvons perdre notre emploi à tout moment », écrit un employé.

« Selon mon expérience, la majorité de ces incidents impliquent une consommation d'alcool, signale un répondant qui travaille sur la colline du Parlement depuis 13 ans. Seulement une minorité d'incidents dont je suis au fait impliquent un certain type de patrons qui abusent de leur pouvoir. »

« J'ai compris que peu importe ce que prétend l'administration du Parlement, la plupart des parlementaires de sexe masculin refusent de modifier leur comportement et continuent parce qu'ils ont le pouvoir de le faire, écrit une autre personne. Je ne me donne pas la peine de soulever ces questions avec mon patron parce qu'il ne semble pas les prendre au sérieux. »

La Chambre des communes s'est dotée en 2014 d'une politique contre le harcèlement, incluant le harcèlement sexuel. Selon le rapport annuel 2016-2017, deux plaintes pour harcèlement ont fait l'objet d'une enquête et deux autres cas ont été résolus autrement. Pour sa part, le Sénat a entamé la révision de sa politique contre le harcèlement qui est en vigueur depuis 2009.

Méthodologie

La Presse canadienne a envoyé le questionnaire par courriel aux employés parlementaires qui travaillent présentement pour des députés, des sénateurs ou des ministres sur la colline du Parlement. Ceux-ci avaient du 20 février au 12 mars pour y répondre et ont été encouragés à envoyer le questionnaire à d'autres employés. Il ne s'agit pas d'un sondage scientifique puisqu'il n'y a aucune façon de savoir combien d'employés ont reçu le questionnaire. La Presse canadienne partagera ces données avec Samara Canada, un organisme non partisan à but non lucratif voué à l'engagement citoyen, qui les utilisera pour des recherches ultérieures.