Après cinq ans de démarches infructueuses et une menace de recours judiciaire, l'Agence du revenu du Canada (ARC) a finalement remis la quasi-totalité des données fiscales demandées par le directeur parlementaire du budget (DPB). Ces informations lui permettront de calculer le manque à gagner d'Ottawa en raison des impôts impayés, qui pourrait atteindre des dizaines de milliards chaque année.

Le 12 février dernier, La Presse a révélé que le DPB, Jean-Denis Fréchette, avait lancé un ultimatum à l'ARC. Il exigeait d'obtenir une série de renseignements avant la fin du mois en vue de calculer l'« écart fiscal », soit la différence entre les impôts dus et ceux qui sont réellement perçus par l'État. Sa patience avait été éprouvée à un point tel qu'il songeait à s'adresser à la Cour fédérale.

Quelques heures après la publication de cet article, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé une « entente » entre l'ARC et le DPB. L'Agence fédérale a tenu promesse et lui a remis la majorité des informations demandées, a appris La Presse. « On a eu ce qu'on a demandé, de façon générale », a commenté M. Fréchette en entrevue hier.

« C'est comme une recette : on a tous les ingrédients, il s'agit maintenant de lier le tout pour en faire un mets complet », a-t-il illustré.

PRÉCISIONS REQUISES

Le bureau du DPB, qui relève à la fois de la Chambre des communes et du Sénat, a pour mandat d'offrir une analyse indépendante sur différents aspects des finances publiques canadiennes. Dans le dossier de l'écart fiscal, l'ARC citait surtout des craintes liées à la confidentialité pour justifier son refus de communiquer des informations.

À la suite de l'entente annoncée par Justin Trudeau, l'Agence a remis une quantité considérable de renseignements « dépersonnalisés » au DPB les 16 et 28 février. Le bureau de Jean-Denis Fréchette a notamment reçu des données sur les contribuables qui ont des actifs et des capitaux à l'étranger, et d'autres sur le montant effectif des impôts à payer par les Canadiens.

Certaines informations cruciales n'ont toutefois pas été transmises de façon détaillée, souligne M. Fréchette. Par exemple, l'ARC a fourni des renseignements sur le niveau de revenus déclaré par les contribuables en provenance d'actifs étrangers, mais n'a pas précisé s'il s'agissait d'individus, de sociétés ou de fiducies, malgré des demandes du DPB à cet égard.

« On est capables de commencer à travailler, mais on est encore en discussions pour clarifier certains éléments », a indiqué Jean-Denis Fréchette.

« UNE TÂCHE COMPLEXE » 

Le DPB se dit rassuré par deux lettres envoyées le mois dernier par Bob Hamilton, commissaire de l'Agence du revenu du Canada. Dans ces documents, consultés par La Presse, M. Hamilton reconnaît que le calcul de l'écart fiscal est une « tâche complexe qui peut nécessiter l'utilisation de plusieurs méthodologies ». Il confirme que de hauts fonctionnaires de l'ARC seront « heureux » de poursuivre la discussion avec le DPB.

Jean-Denis Fréchette estime que les récents développements de ce feuilleton sont « très positifs ». Son bureau procédera bientôt à l'embauche de plusieurs nouveaux analystes et pourrait soumettre une étude sur le sujet « très complexe » de l'écart fiscal d'ici environ huit mois.

Un rapport récent du Conference Board estime que le manque à gagner d'Ottawa en matière d'impôts et de taxes non perçus pourrait s'élever à 47,8 milliards par année. Aucune analyse exhaustive et crédible n'a jamais été réalisée sur le sujet au Canada.