La Parti conservateur espère profiter de la débandade du Bloc québécois pour séduire une partie de l'électorat de la province à l'approche des élections de 2019. En entrevue éditoriale à La Presse, le chef Andrew Scheer se prononce contre la mise en place d'une « taxe Netflix », soulève des doutes sur le modèle d'affaires de CBC/Radio-Canada et prône un retour à l'équilibre budgétaire rapide s'il est élu. Faits saillants.

CRISE AU BLOC : « UNE GRANDE OCCASION POUR NOTRE PARTI »

Élu de justesse à la tête du Parti conservateur devant son principal opposant Maxime Bernier en mai dernier, Andrew Scheer espère réaliser une percée au Québec. Le député de Saskatchewan de 38 ans, père de cinq enfants, s'est lancé vendredi dans un blitz médiatique dans une province où il reste peu connu. Une visite éclair qui coïncidait avec celle du chef néo-démocrate Jagmeet Singh, de passage à l'émission Tout le monde en parle dimanche soir. Andrew Scheer mise sur l'effondrement du Bloc québécois - qui a perdu 7 de ses 10 députés la semaine dernière - pour marquer des points au Québec. « C'est une grande opportunité pour notre parti de rappeler aux Québécois que c'est toujours notre parti qui a défendu les intérêts du Québec », croit-il.

NATION QUÉBÉCOISE

Dans un assez bon français, Andrew Scheer fait valoir que les députés québécois de son caucus - notamment Gérard Deltell, Alain Rayes, Luc Berthold et Pierre Paul-Hus - défendent avec vigueur plusieurs dossiers de la province à Ottawa. « C'est notre parti qui a reconnu le Québec comme une nation, c'est notre parti qui respecte les compétences des provinces », avance-t-il. Sa formation entamera bientôt une tournée de consultations au Québec en vue de peaufiner sa plateforme électorale à l'approche du scrutin prévu à l'automne 2019. « Je crois que beaucoup de Québécois sont conservateurs et partagent nos valeurs. Ils veulent une bonne croissance économique, une société plus sécuritaire, ils n'aiment pas payer des taxes pour du gaspillage. »

DÉCLARATION DE REVENUS UNIQUE

Andrew Scheer dénonce la tendance « centralisatrice » du gouvernement libéral de Justin Trudeau. Il estime que les provinces doivent bénéficier de plus d'autonomie pour faire leurs propres choix, par exemple dans le secteur du logement abordable. Il se montre aussi ouvert à la mise en place d'une déclaration de revenus unique, qui éviterait aux Québécois d'avoir à remplir deux déclarations tous les ans. Et s'il dit ne pas vouloir s'immiscer dans le processus électoral des provinces, le politicien se réjouit de la montée en popularité de la Coalition avenir Québec (CAQ). « Chaque fois que les gens appuient les principes d'un gouvernement plus petit, d'un fardeau fiscal plus petit pour les contribuables et d'un marché libre, c'est bon pour nous. »

« TAXE NETFLIX » ?

Le chef conservateur se retrouve dans la position délicate de commenter un dossier hérité de son prédécesseur Stephen Harper : celui de la « taxe Netflix ». L'ancien premier ministre avait fermement plaidé contre la taxation des groupes numériques étrangers. Le gouvernement Trudeau a lui aussi refusé d'obliger ces entreprises à percevoir des taxes, alors que leurs concurrentes canadiennes comme Illico ou Tout.tv sont tenues de le faire. Les géants Google et Netflix, qui ont fait 6 milliards en revenus publicitaires au pays, continuent aussi de bénéficier d'un traitement fiscal privilégié au Canada. « Je suis contre chaque proposition de nouvelle taxe, dit Andrew Scheer. Mais je vais suggérer quelque chose : quand on voit un avantage inégal pour une compagnie en particulier, il y a deux façons de régler la situation : l'une est d'augmenter les taxes ou d'introduire une taxe d'un côté, l'autre est d'éliminer les taxes de l'autre côté. Je ne suis pas prêt à annoncer une politique formelle, mais je fais juste suggérer ça. »

CRISE DES MÉDIAS

Rappelant que son père a longtemps travaillé au journal Ottawa Citizen, Andrew Scheer se dit sensible à la crise financière qui frappe le secteur des médias écrits. Il déplore l'inaction du gouvernement Trudeau dans ce dossier (le dernier budget contenait une aide de 50 millions sur cinq ans pour les journaux régionaux) et dit préconiser des « solutions du marché » pour affronter la situation. « Une des choses dont j'ai parlé avec des experts, c'est que Google et Facebook profitent du travail des journaux et gagnent de l'argent grâce aux contenus que vous créez. Sans parler de subventions ou d'un plan de sauvetage, est-ce qu'il y a des façons pour le gouvernement de s'assurer que les gens qui créent le contenu puissent profiter de ces revenus ? On va annoncer nos programmes spécifiques pour ça. Il s'agit de trouver des solutions du marché pour régler la situation. »

CBC/RADIO-CANADA

Autre dossier chaud pour les conservateurs s'ils devaient être élus : l'avenir du diffuseur public. Pendant les neuf ans de Stephen Harper au pouvoir, le budget de CBC/Radio-Canada a subi d'importantes compressions. M. Harper n'a jamais caché son dépit pour cette institution, qu'il a déjà qualifiée de repaire de « gauchistes ». Le gouvernement Trudeau a quant à lui réinvesti 675 millions en cinq ans peu après son arrivée au pouvoir. Que ferait Andrew Scheer, lui ? Il affirme ne pas avoir arrêté une position, mais émet d'importantes réserves sur le mode de fonctionnement actuel du diffuseur public. « D'un côté, les réseaux médiatiques privés ont de grands défis, et la société de la Couronne voit ses contributions augmenter. Ce n'est pas juste. Une chose qui est très importante à savoir pour les Canadiens, c'est que Radio-Canada est en concurrence [avec le secteur privé] pour les revenus publicitaires. » M. Scheer estime que ce traitement à deux vitesses « doit faire partie de la conversation » en vue des prochaines élections.

ÉQUILIBRE BUDGÉTAIRE

Andrew Scheer, député depuis 2004 dans la circonscription de Regina-Qu'Appelle, déplore que le gouvernement libéral ait abandonné son objectif de rééquilibrer le budget d'ici 2019. Il estime que les différents ministères perdent leur « discipline » financière lorsqu'aucun retour à l'équilibre ne pointe à l'horizon. Le chef conservateur maintient sa promesse d'effectuer un retour à l'équilibre budgétaire dans un délai de 24 mois après une victoire électorale. Il espère en outre profiter des faux pas de Justin Trudeau - comme sa mission diplomatique controversée en Inde - pour marquer des points auprès de l'électorat. Sans renier les années Harper, le politicien dit vouloir faire sa propre marque au cours des prochains mois. « Sous mon leadership, c'est un nouveau chapitre et je commence à écrire mon propre chapitre comme chef de parti. » Par ailleurs, M. Scheer sera de passage à Londres dans les prochains jours afin de préparer le terrain pour sa promesse de négocier une entente de libre-échange entre le Royaume-Uni et le Canada s'il est élu premier ministre en 2019. Il commencera sa tournée britannique aujourd'hui, alors qu'il rencontrera notamment le secrétaire d'État des Affaires étrangères Boris Johnson, rapporte La Presse canadienne. Il pourrait aussi rencontrer la première ministre britannique Theresa May, mais cet entretien n'est pas encore confirmé.

Photo David Boily, La Presse

Le chef du Parti conservateur Andrew Scheer espère profiter de la crise au Bloc québécois pour mieux se faire connaître au Québec.

Photo David Boily, La Presse

Le chef du Parti conservateur Andrew Scheer espère profiter de la crise au Bloc québécois pour mieux se faire connaître au Québec.