Le gouvernement canadien ordonne un nouvel examen d'un contrat de vente conclu entre Bell Helicopter et les Philippines après qu'un dirigeant militaire philippin eut affirmé que les 16 appareils concernés pourraient servir à des opérations militaires internes.

Le ministre du Commerce international, François-Philippe Champagne, en a fait l'annonce peu avant la période des questions, mercredi, alors que des organisations humanitaires et les néo-démocrates commençaient à tirer la sonnette d'alarme.

Lors d'une mêlée de presse dans le foyer de la Chambre, il a affirmé qu'à l'époque où le contrat entre Bell Helicopter et le gouvernement philippin avait été paraphé, en 2012, «les faits indiquaient» que les appareils devaient être utilisés à des fins de recherche et de sauvetage.

Mais de récents propos d'un militaire philippin «indiquant autrement» ont fait sourciller le gouvernement, qui a demandé à la Corporation commerciale canadienne (dont le mandat inclut la vente de biens militaires à d'autres pays) de se pencher sur la question, a dit M. Champagne.

Le major-général Restituto Padilla, chef des plans militaires des Philippines, a confié à Reuters que les 16 hélicoptères seraient utilisés pour les «opérations militaires de sécurité interne», en plus des missions pour aider les sinistrés et faire des sauvetages.

«Lorsqu'on a vu cette déclaration-là, vous comprenez qu'on a lancé immédiatement une revue avec les autorités compétentes, et sur cette base-là, on va faire une revue des faits, et on prendra la bonne décision par la suite», a souligné le ministre Champagne.

L'archipel du sud-est asiatique est dirigé depuis 2016 d'une main de fer par un président autoritaire, Rodrigo Duterte, dont le gouvernement mène une croisade sanglante contre les narcotrafiquants.

Lors de la période de questions en Chambre, les néo-démocrates ont demandé au gouvernement de s'engager à bloquer toute transaction qui enverrait de l'équipement susceptible d'être utilisé par une armée accusée de multiples violations des droits de l'homme.

Ils ont souligné qu'il serait ironique de fournir des hélicoptères au président Duterte, alors que celui-ci s'est lui-même vanté d'avoir largué un homme du haut de l'un de ces appareils en plein vol - et assuré qu'il le referait sans hésitation.

En réponse aux objections de la deuxième opposition, la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a spécifié qu'elle n'avait reçu aucune demande de permis d'exportation pour ce contrat, puisqu'il devait s'agir, au départ, de matériel non militaire.

«Je ferai une analyse extrêmement rigoureuse des droits de la personne (pour) toute demande de permis d'exportation potentielle», a-t-elle dit en français avant de noter ensuite, en anglais, qu'elle «avait le pouvoir de refuser un permis» et qu'elle était «prête à le faire».

À sa sortie des Communes, la porte-parole néo-démocrate en matière d'affaires étrangères, Hélène Laverdière, s'est dite «partiellement satisfaite» des explications fournies par la diplomate en chef du Canada.

En revanche, «sur le principe», il lui «semble quand même assez évident» qu'Ottawa ne peut cautionner l'envoi d'appareils de fabrication canadienne au régime Duterte, car «on ne peut pas avoir de garantie que ce ne sera pas utilisé contre les civils».

Le chef de l'opposition officielle, Andrew Scheer, a lui aussi bien accueilli la décision du gouvernement libéral de commander un nouvel examen de l'entente paraphée entre Bell Helicopter et Manille.

«Il est très important que cette révision soit effectuée, et évidemment, si de l'équipement canadien est utilisé (pour commettre des exactions), cela serait inapproprié», a-t-il offert en point de presse après la période des questions.

Chez Amnistie internationale, on estime que «le Canada doit faire preuve d'une extrême prudence en approuvant la fourniture d'équipement aux Philippines», a plaidé Geneviève Paul, directrice générale par intérim de la succursale francophone de l'organisation au Canada.

De tels transferts ne doivent pas être autorisés sans «évaluation approfondie des risques pour les droits humains», a-t-elle déclaré, réclamant du gouvernement qu'il prouve qu'une telle évaluation a été effectuée et qu'Ottawa a obtenu des garanties de Manille.

Les hélicoptères sont construits dans une usine de Mirabel, dans les Laurentides, qui emploie 900 personnes. Le contrat est confidentiel, mais le gouvernement des Philippines aurait mis de côté près de 300 millions pour se munir de nouveaux appareils.