Le Canada doit aussi faire l'objet d'une enquête de la Cour pénale internationale (CPI) pour avoir manqué à ses obligations quand des soldats canadiens ont transféré des prisonniers capturés en Afghanistan aux forces policières afghanes en sachant qu'ils risquaient d'être torturés, estime le professeur de droit et ex- député du Nouveau Parti démocratique (NPD) Craig Scott.

M. Scott, qui est professeur de droit à Osgoode Hall de l'Université York, à Toronto, a soumis hier un mémoire de près de 120 pages à la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, dans lequel il explique pourquoi le Canada a des comptes à rendre après avoir participé pendant près de 10 ans à une mission de combat en Afghanistan.

À la surprise générale, la procureure de la CPI a demandé la semaine dernière aux juges du tribunal de La Haye l'autorisation d'ouvrir une enquête sur les crimes commis en Afghanistan depuis 2003. Si les juges acceptent cette requête, l'enquête devrait se pencher à la fois sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre commis par les talibans, les crimes de guerre de la police et des services de renseignements du régime afghan, ainsi que sur les tortures de l'armée américaine et de la CIA.

Dans son mémoire, M. Scott affirme que le gouvernement conservateur de Stephen Harper et le gouvernement libéral de Justin Trudeau ont tour à tour « abdiqué » leur responsabilité d'enquêter adéquatement sur les allégations voulant que les soldats canadiens déployés en Afghanistan aient manqué à leur devoir en transférant des prisonniers aux services policiers afghans en sachant que la torture était un fléau répandu dans les geôles afghanes.

TÉMOIGNAGE PERCUTANT 

Ces allégations ont même été documentées par un ancien diplomate canadien, Richard Colvin, qui a travaillé pour le ministère canadien des Affaires étrangères à Kaboul, puis à l'ambassade du Canada à Kandahar pour une durée totale de 18 mois, en 2006-2007. Dans un témoignage percutant devant un comité parlementaire, en 2009, M. Colvin avait soutenu que les prisonniers remis aux autorités afghanes avaient probablement tous été torturés. M. Colvin avait aussi affirmé avoir envoyé plus de 15 rapports portant précisément sur les conditions de détention et les allégations de torture, en plus d'en avoir fait état verbalement. Mais ses avertissements ont été largement ignorés par les autorités canadiennes.

« J'entreprends cette démarche en dernier recours, car autant le gouvernement conservateur que le gouvernement libéral ont refusé de tenir une enquête publique pour faire la lumière sur ces événements. L'heure où l'on refusait de rendre des comptes est terminée », a affirmé le professeur Craig Scott dans un courriel à La Presse.

Dans son mémoire, M. Scott fait aussi état des révélations de La Presse de mai 2015 selon lesquelles des policiers militaires canadiens en mission en Afghanistan ont instauré un climat de terreur dans la prison de la base de Kandahar sans jamais être sanctionnés par le ministère de la Défense. En agissant ainsi, les policiers militaires désiraient contraindre les prisonniers à dévoiler des informations pouvant permettre aux troupes canadiennes et à leurs alliés occidentaux de contrer les menaces des insurgés talibans ou de trouver des caches d'armes.

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LE GOUVERNEMENT TRUDEAU PRUDENT

Le gouvernement Trudeau a réagi avec prudence à la démarche de Craig Scott. « Le Canada est un ardent défenseur de la Cour pénale internationale et de son travail visant à assurer l'imputabilité pour les crimes de guerre [...], a affirmé Adam Austen, porte-parole de la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland. Le Canada est signataire des Conventions et Protocoles de Genève. Le personnel des Forces armées canadiennes déployé dans les opérations à l'étranger respecte toujours le code de conduite des Forces armées canadiennes, et toutes les lois canadiennes et internationales applicables [...]. Les forces armées prennent très au sérieux toutes allégations de torture ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. »