Un pas supplémentaire est franchi vers la légalisation du cannabis au Canada. Les députés ont adopté lundi soir en Chambre le projet de loi C-45, renvoyant la balle dans le camp du Sénat, à environ sept mois de l'échéancier fixé par le gouvernement libéral pour légaliser la substance.

Le projet de loi a été avalisé par 200 députés contre 82, ralliant l'ensemble des députés libéraux et néo-démocrates qui étaient à leur place en Chambre au moment du vote. La chef du Parti vert, Elizabeth May, a aussi voté en faveur.

Dans les banquettes conservatrices et bloquistes, les élus ont tous dit non - tous, sauf le député conservateur Scott Reid, qui donc a rompu la ligne de parti. Plus de dix conservateurs étaient absents au moment d'enregistrer ce vote en troisième lecture.

À l'issue du vote, Justin Trudeau a dit à La Presse Canadienne avoir «confiance» que les sénateurs, dont c'est le tour d'étudier C-45, «vont comprendre que c'est dans l'intérêt des Canadiens d'avoir un régime qui protège nos enfants et qui enlève les profits des criminels».

Sa ministre de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, s'est quant à elle réjouie que la mesure législative dont elle est devenue marraine en août dernier, à la faveur d'un remaniement ministériel, ait été adoptée en troisième lecture.

«C'est une étape très importante aujourd'hui», a-t-elle affirmé en entrevue avec La Presse Canadienne, signalant avoir «hâte de travailler étroitement» avec les membres du Sénat, dont elle «respecte beaucoup» le travail.

Elle a par ailleurs affiché un grand optimiste lorsqu'on lui a demandé d'évaluer les chances que le projet de loi reçoive la sanction royale d'ici juillet 2018, comme le souhaitent les libéraux. «Je vais être honnête, je suis très confiante», a-t-elle tranché dans le foyer des Communes.

Le chef conservateur Andrew Scheer, qui a voté contre C-45 lundi soir, a récemment prévenu que le caucus sénatorial de son parti userait de «tous les outils démocratiques» afin de ralentir la progression de la mesure législative gouvernementale.

«Nous sommes maintenant concentrés sur le but de bloquer ce projet de loi. Notre caucus pense que ce projet de loi a de gros problèmes», a-t-il indiqué en entrevue avec La Presse Canadienne, jeudi dernier.

Les velléités conservatrices ont semblé plaire à la chef bloquiste Martine Ouellet, qui a répondu aux questions des journalistes lundi après-midi dans le cadre de son passage hebdomadaire dans la capitale fédérale.

Le Sénat «ne devrait pas exister» en 2017, mais «étant donné qu'il est encore là», les sénateurs devraient «faire un travail pour avoir un report de la mise en application» de C-45, a-t-elle lâché en mêlée de presse.

Mme Ouellet a fustigé l'insistance du fédéral à avancer à toute vapeur malgré les doléances exprimées à l'Assemblée nationale, où les élus ont unanimement adopté il y a environ deux semaines une motion exhortant Ottawa à repousser d'un an l'entrée en vigueur de sa loi.

Le député néo-démocrate Alexandre Boulerice, qui s'est dit «d'accord sur le fond» avec le principe de légaliser le cannabis, reproche lui aussi aux libéraux d'avoir fait la sourde oreille au nom d'un «échéancier artificiel» qui n'a selon lui aucune raison d'être.

«La date de juillet 2018 est absolument arbitraire. Il n'y a vraiment aucune raison de précipiter les choses», a-t-il tranché en mêlée de presse, accusant le gouvernement Trudeau d'avoir «empêché les parlementaires de faire le travail» en coupant court au débat en Chambre.

«C'est un sujet controversé, c'est un sujet de société sérieux. Je pense qu'on doit bien faire les choses. Là, on pile sur les pieds des provinces, on inquiète les forces policières», a tonné l'élu néo-démocrate dans le foyer des Communes peu avant le vote sur C-45.

Un conservateur défie la ligne de parti

Les libéraux n'avaient pas besoin de l'appui de l'opposition pour faire adopter C-45. La plateforme électorale libérale stipule que la ligne de parti s'applique dans le cas de mesures émanant de ladite plateforme - et la légalisation du cannabis fait partie de celles-là.

Mais en plus du soutien des troupes néo-démocrates, ils ont obtenu celui du député conservateur Scott Reid. L'élu a défié la ligne de son parti pour honorer la volonté exprimée par les commettants de sa circonscription dans un référendum.

Le député ontarien, personnellement en faveur de la légalisation du cannabis, avait appuyé le projet de loi C-45 en deuxième lecture, mais avait remis son vote final entre les mains des électeurs de sa circonscription Lanark-Frontenac-Kingston.

Il avait annoncé sur son compte Twitter que le oui l'avait emporté sur le non à 55 pour cent contre 44 pour cent, écrivant que C-45 avait selon lui «des lacunes significatives» et qu'il appuierait donc une motion (conservatrice) «demandant un renvoi au comité pour étude plus approfondie».

Les élus conservateurs qui siègent au comité permanent de la santé de la Chambre des communes n'avaient proposé aucun amendement lors de l'étude intensive de la mesure législative, en septembre dernier.

«Le travail des conservateurs là-dessus est assez étrange et assez paradoxal, mais je vais les laisser s'expliquer sur leur stratégie», a commenté Alexandre Boulerice lorsqu'on lui a demandé s'il percevait une incohérence entre les paroles et les gestes du Parti conservateur dans ce dossier.