Le gouvernement Trudeau s'apprête à faire fi de la demande du premier ministre du Québec Philippe Couillard de ne pas acheter d'appareils fabriqués par Boeing tant et aussi longtemps que le litige commercial entre cette multinationale américaine et Bombardier ne sera pas réglé.

Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) a profité du long week-end de l'Action de grâce pour confirmer que le Canada souhaite acheter les avions de chasse Super Hornet et les pièces de rechange connexes que l'Australie prévoit vendre afin de combler le déficit de capacité qui guetterait les Forces armées canadiennes. Or, ces avions de chasse sont construits par Boeing.

L'Australie entend se départir de sa flotte intérimaire de 24 avions Super Hornet achetés en 2007 à compter de l'an prochain, alors que les Forces armées australiennes commenceront à prendre possession des avions de chasse F-35 construits par Lockheed Martin.

Le Canada a participé au financement du programme de développement des F-35, avec d'autres pays alliés comme les États-Unis, mais les libéraux de Justin Trudeau ont promis en campagne électorale de ne pas les acheter au motif que leur prix était trop élevé.

Une réponse d'ici la fin de l'année

« Le Canada a entamé des discussions avec le gouvernement de l'Australie sur la possibilité d'acquérir les chasseurs F/A-18 et les pièces de rechange connexes [...]. Le Canada s'attend à obtenir une réponse d'ici la fin de l'année en cours. Cette réponse indiquera plus en détails la disponibilité et le coût du chasseur et des pièces de rechange connexes que le Canada envisage d'acheter », a indiqué le SPAC dans une déclaration publiée lundi.

Le gouvernement Trudeau a annoncé en novembre dernier son intention d'acheter 18 avions de chasse Super Hornet flambant neufs de Boeing, évalués à 6,4 milliards de dollars, afin de combler le déficit de capacité, mais il a décidé de se tourner vers l'Australie après que Boeing eut déposé une plainte contre Bombardier auprès du département du Commerce américain. Dans cette plainte, Boeing soutient que Bombardier a profité de subventions illégales du gouvernement du Québec et du gouvernement fédéral pour vendre des avions C Series à un prix dérisoire sur le marché américain.

Il y a deux semaines, le premier ministre Philippe Couillard a vertement dénoncé la décision du département du Commerce américain d'imposer des droits compensateurs de 220 % sur la vente de 75 avions de la C Series de Bombardier à Delta. Il avait aussi exhorté le gouvernement Trudeau à adopter la ligne dure envers Boeing. 

« Je demande au gouvernement fédéral et au premier ministre Trudeau de maintenir la ligne dure, très dure : pas un boulon, pas une pièce, bien sûr pas un avion venant de Boeing au Canada, tant que ce conflit n'est pas réglé de façon juste. » 

La semaine dernière, le département du Commerce a donné une autre gifle commerciale à Bombardier en ajoutant des droits antidumping de presque 80 % aux droits compensateurs de 220 % imposés une dizaine de jours auparavant.

Dans une déclaration envoyée à La Presse, une porte-parole de M. Couillard, Joçanne Prévost, a affirmé que les propos du premier ministre du Québec au sujet de la fermeté dont doit faire preuve le gouvernement canadien à l'endroit de Boeing étaient on ne peut plus catégoriques. « La position du premier ministre est connue et claire : nous demandons au gouvernement du Canada de ne pas acheter d'avions de Boeing », a-t-elle affirmé.

Sous le couvert de l'anonymat, une source gouvernementale a insisté pour dire que le possible achat d'avions de chasse usagés de l'Australie ne profiterait aucunement à Boeing.

L'opposition réclame un appel d'offres

Mais selon le député conservateur Pierre Paul-Hus, le gouvernement Trudeau déploie des efforts considérables pour sauver la face dans un dossier qu'il a choisi de politiser, soit le remplacement de la flotte vieillissante des CF-18.

« Lors des élections fédérales de 2015, Justin Trudeau a promis de tenir un appel d'offres ouvert tout en s'engageant à exclure l'un des concurrents. Cette promesse ne reposait pas sur l'avis d'experts, mais sur des raisons purement partisanes.

« Tout ce que fait Justin Trudeau en ce moment est d'essayer de trouver des solutions temporaires pour un problème qu'il a créé lui-même. Il est temps que le premier ministre suive l'avis des experts en défense et entreprenne immédiatement un appel d'offres ouvert afin de trouver un remplacement permanent aux CF-18 du Canada », a dit M. Paul-Hus.

Le député néo-démocrate de Rosemont-La Petite-Patrie Alexandre Boulerice a abondé dans le même sens. « Le discours des libéraux n'a aucun sens. Soyons clairs : les libéraux ont bâclé ce processus depuis qu'ils ont pris le pouvoir. Après avoir promis un processus ouvert et transparent, ils nous annoncent qu'ils vont aller de l'avant avec un fournisseur unique. Si les libéraux avaient respecté leur engagement d'avoir un processus ouvert et transparent, on aurait pu éviter cette situation », a-t-il dit.

Quant à la demande de Philippe Couillard, M. Boulerice a affirmé : « On comprend la frustration du gouvernement du Québec. Jusqu'à présent, le gouvernement Trudeau n'a pas fait tout ce qu'il devait pour protéger les emplois au Québec, notamment dans le cas de Bombardier et Aveos. Trudeau devrait se faire greffer une colonne vertébrale. »

Le Bloc québécois presse aussi le gouvernement Trudeau de lancer un appel d'offres à l'échelle internationale et d'exiger que l'on construise le prochain avion de chasse sous licence au Canada. « Il est temps que l'on se libère de l'emprise de Boeing. Nous avons le savoir-faire ici au Québec pour construire de tels avions », a affirmé le député bloquiste de Terrebonne Michel Boudrias, un ancien officier d'infanterie au sein du Royal 22Régiment.