Alors qu'Ottawa multiplie les appels à la «réconciliation» avec les peuples issus des Premières Nations, une enquête menée auprès de 2189 fonctionnaires fédéraux autochtones révèle un pourcentage élevé d'insatisfaction, de même que de nombreux cas de «discrimination» et de «harcèlement» au travail.

L'enquête menée par le groupe-conseil Quorus au profit du ministère de la Sécurité publique, obtenue par La Presse, indique aussi que 40% des employés autochtones songent à quitter leur poste d'ici deux à trois ans. Des conclusions qui ne surprennent pas du tout Magali Picard, vice-présidente exécutive à l'Alliance canadienne de la fonction publique (AFCP) pour le Québec et porte-parole du Cercle national des peuples autochtones.

«Je ne vous ferai pas croire qu'il n'y a pas de discrimination au gouvernement du Canada, ce n'est pas vrai. Ce que ça fait, souvent, c'est que les gens ne restent pas en poste.»

Mme Picard, membre de la nation huronne-wendate, dit avoir elle-même vécu plusieurs situations troublantes alors qu'elle était employée du gouvernement fédéral. Elle entend encore régulièrement les problèmes de fonctionnaires autochtones pendant des «cercles fermés» de discussion, où ils ne craignent pas les représailles.

«Pas plus tard qu'en mai dernier, j'ai entendu des histoires d'horreur, où des gestionnaires venaient juger les us et coutumes qui sont pratiqués dans les réserves ou les familles, en disant que c'était dépassé ou du folklore, que les gens devraient être gênés, raconte la dirigeante syndicale. On entend aussi tous les stéréotypes : vous ne payez pas vos taxes, votre électricité. C'est aberrant.»

«Sentiment de discrimination»



Parmi les conclusions du sondage de Quorus, remis en mai dernier au gouvernement, on apprend que 42% des autochtones jugent l'accès à des possibilités d'apprentissage et de perfectionnement «inégal». Questionnés sur les plus grandes difficultés rencontrées dans leur emploi, 18% ont mentionné un «manque de respect pour la culture autochtone» et 17%, un «sentiment de discrimination».

«Ceux qui ont une expérience négative à l'égard de leur environnement de travail ont abordé les aspects suivants : la discrimination, le harcèlement, l'intimidation et le manque de respect en milieu de travail», peut-on lire dans le rapport de 123 pages. 

«Dans certains cas, on a rapporté des attaques insidieuses, et dans d'autres, des situations de discrimination directe.»

Le sondage souligne que 56% des fonctionnaires issus des Premières Nations sont «satisfaits ou très satisfaits» de leur emploi. Mais 40% pensent à quitter leur poste d'ici deux ou trois ans, une proportion plus élevée que pour l'ensemble des employés de la fonction publique fédérale (26%), d'après des données citées dans l'étude.

Amélioration



Selon la syndicaliste Magali Picard, la situation des autochtones se serait dégradée dans la fonction publique pendant la décennie du règne des conservateurs, entre 2006 et 2015. «Oui, on a vu une recrudescence des comportements de harcèlement, d'intimidation, d'abus de pouvoir, de commentaires qui sont vraiment très difficiles à croire dans les années auxquelles nous sommes rendues, et ce, de la part de l'employeur le plus important au pays.»

Les choses auraient toutefois commencé à s'améliorer depuis la passation des pouvoirs à Ottawa, soutient Mme Picard. «Même si ça ne va pas à la vitesse qu'on voudrait, l'attitude est différente, le respect est là, et la volonté de rétablir des liens, on la sent. Ça, ça ne peut que nous aider à améliorer les conditions des employés de la fonction publique.»

Réponse d'Ottawa

Au cabinet de Scott Brison, président du Conseil du Trésor qui chapeaute la fonction publique canadienne, on a souligné hier avoir pris un « engagement fondamental » en vue de « renouveler la relation avec les peuples autochtones ».

«Il nous reste bien du travail en matière de recrutement et de rétention des employés autochtones», affirme Jean-Luc Ferland, attaché de presse du président du Conseil du Trésor Scott Brison.

Pour tenter d'attirer davantage de jeunes autochtones, Ottawa a lancé en 2016 un programme de stages d'été destiné aux étudiants, considéré comme «un pas significatif dans la bonne direction». Le nombre de participants a triplé entre la première et la deuxième année, avance le Conseil du Trésor.

Selon des chiffres de mars 2016, quelque 5,2% des 259 000 employés du gouvernement fédéral sont issus des peuples autochtones. Il s'agit d'une surreprésentation par rapport au taux de disponibilité des autochtones au sein de la population active, qui s'élève à 3,4%, indique une autre étude d'Ottawa.

- Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Magali Picard