Sur les terrasses, bien des regards se tournent vers Jagmeet Singh tandis qu'il se promène au milieu de la rue Sainte-Catherine Est, fermée pendant l'été. Ce n'est pas tous les jours qu'un sikh tiré à quatre épingles dans son complet trois-pièces, turban rose sur la tête et kirpan en bandoulière, marche, le sourire large et la tête haute, en plein coeur du Village gai de Montréal.

«Vous êtes magnifique avec tout ça!», lui lance une femme.

Chez plusieurs autres, on devine une certaine curiosité. Le candidat dans la course à la direction du NPD a l'habitude : de son enfance à Terre-Neuve, puis à Windsor dans l'Ontario industriel, il a souvent été différent. Ça n'a pas toujours été facile : il raconte qu'enfant, il a appris à se battre pour répondre aux moqueries.

Aujourd'hui, il continue à pratiquer des sports de combat pour garder la forme. Mais il a troqué les poings pour la discussion.

«C'est difficile de dire ça sans avoir l'air snob ou trop confiant en soi, mais je sais que j'ai du charisme et que je peux rallier les gens. Si je passe assez de temps avec eux je peux les rallier et ils peuvent devenir mes amis», dit-il.

La Presse a accompagné M. Singh pendant quelques heures, la semaine dernière, lors de l'une de ses visites à Montréal.

On l'a rencontré dans un café de la rue Ontario, en bordure du Village. L'entrevue s'est déroulée pendant 45 minutes en français, une langue qu'il maîtrise très bien et qu'il a décidé d'apprendre à 12 ans, lorsqu'il étudiait dans une école privée de Detroit, aux États-Unis, à quelques kilomètres de Windsor.

Il affirme que la décision est venue entièrement de lui, lorsqu'il a appris que le français, comme le pendjabi, sa langue maternelle, avait fait l'objet de discrimination au Canada. Aujourd'hui, son amour et cette connaissance de la langue font partie des arguments qu'il met de l'avant en espérant convaincre les militants québécois du NPD de voter pour lui.

Mais la partie n'est pas gagnée.

Dès qu'il a annoncé sa décision de se présenter, en mai, des militants du Québec ont exprimé leurs craintes quant au risque que ces signes religieux «ostentatoires» et certaines de ses positions, comme l'exemption du port du casque pour les motocyclistes sikhs, ne passent pas auprès de l'électorat de la province.

Charte des valeurs

Jagmeet Singh ne cache pas ses réserves à l'égard de la défunte charte des valeurs du Parti québécois, ou pour des mesures comme l'interdiction de porter le kirpan à l'Assemblée nationale, contre laquelle il a lancé une pétition en avril 2011, appuyée par la veuve de Jack Layton, Olivia Chow.

Mais le choix du Village comme lieu de rencontre avec La Presse n'est évidemment pas un hasard : il mise sur ses valeurs progressistes et sur sa volonté de dialoguer, d'écouter et d'apprendre, pour gagner la faveur des Québécois.

«Ce que je sais, et je veux en savoir plus, mais quelque chose comme la charte n'a pas réussi ici. On peut dire que c'était un désastre pour le Parti québécois. Donc ça me montre que ces enjeux ne sont pas aussi populaires que peut-être les gens dans les médias l'indiquent», dit Jagmeet Singh.

Il trouve «ironique» que son appartenance religieuse soit ainsi soulevée «alors que je suis pour les droits des LGBTQ, je suis pour le mariage entre conjoints de même sexe, je suis pour le droit à l'avortement». En revanche, il se compare au nouveau chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, un fervent catholique, qui «est contre ces mêmes droits», mais «ne porte pas de signes religieux».

Ses phrases ont de toute évidence été pratiquées d'avance et sa tournée, planifiée au quart de tour, comme celle d'un chef en élections générales. Après 45 minutes très exactement, un adjoint tapote son poignet : l'entrevue est terminée. Prochaine destination : une librairie féministe du Village, L'Euguélionne, où il demande aux libraires des recommandations de «romans québécois, obligatoirement féministes». Il ressort avec des livres d'Aurélie Lanctôt et de Pascale Navarro. Plus tard en après-midi, il visitera des membres des communautés sikhe et arménienne, mais La Presse n'y est pas conviée.

Après chaque étape, il filme de courtes vidéos ou prend des photos, qu'il publie sur les médias sociaux pour les dizaines de milliers d'internautes qui le suivent. La serveuse du café lui demande de parler de ses macarons qui affichent des messages engagés. Il s'exécute avec l'aisance d'un Justin Trudeau.

Une recette exportable?

Dans un restaurant de Sainte-Catherine Est, des militants de Montréal sont venus casser la croûte avec lui. Alexandrine Latendresse, ex-députée élue lors de la vague orange, fait partie du groupe. Elle entend rester neutre, précise-t-elle, mais elle voulait entendre ce qu'il a à dire.

Selon elle, les craintes sur la question religieuse ne sont pas généralisées. «Ce n'est pas tant une question de gauche ou de droite qu'une question de générations». Elle croit que les «jeunes et des gens de couleur [...] vont être intéressés par ce que Jagmeet a à dire».

Avec un membre un vote, le Québec n'a pas autant de poids que la Colombie-Britannique ou l'Ontario pendant la course. Mais la situation pourrait être différente aux prochaines élections fédérales.

«S'il gagne, est-ce qu'on va être capables d'octobre 2017 à octobre 2019 de le faire connaître?», se demande un député néo-démocrate. 

«Il va falloir qu'il soit très présent, qu'on l'emmène à Tout le monde en parle et dans les émissions pour que les gens comprennent qui il est au-delà de la première impression qu'il va donner.»

Mais Jagmeet Singh n'en démord pas : cette même recette qui l'a propulsé au statut de politicien vedette dans la grande région de Toronto fonctionnera au Québec.

«Si vous me donnez assez de temps avec les gens, peu importe qui ils sont ou d'où ils viennent, ils vont repartir en disant : il y a quelque chose de ce gars-là que j'aime... Et je ne doute pas que je peux le faire partout : au centre-ville de Toronto, au centre-ville de Montréal ou en Abitibi-Témiscamingue. N'importe où. I can do it.»