Alors que Boeing s'attaque de plein fouet au groupe québécois Bombardier devant les tribunaux, des voix s'élèvent à Ottawa pour exiger que le gouvernement fédéral remette en question une entente de plus de 5 milliards en négociation avec le géant américain pour l'achat de 18 avions de chasse.

Boeing a lancé la semaine dernière deux procédures judiciaires aux États-Unis contre Bombardier, accusant l'avionneur de vendre à «prix dérisoire» ses appareils de la C Series sur le marché américain. Si cette démarche est couronnée de succès, les appareils québécois vendus au sud de la frontière pourraient se retrouver frappés de droits compensateurs étouffants pour Bombardier.

Le député conservateur Pierre Paul-Hus, membre du comité permanent de la défense de la Chambre des communes, estime que le gouvernement Trudeau devrait «se tenir debout» dans ce dossier.

«C'est sûr qu'il faut qu'ils mettent leurs culottes et qu'ils fassent de quoi, a-t-il lancé à La Presse hier. À un moment donné, quand tu couches avec quelqu'un, tu ne peux pas lui faire mal. Il y a quelque chose qui se passe entre le gouvernement Trudeau et Boeing. Ils sont en position de faiblesse par rapport à eux autres.»

M. Paul-Hus dénonce depuis le début la négociation d'une entente de gré à gré entre Ottawa et Boeing pour l'achat de 18 avions de chasse. Ces appareils doivent servir à combler un «déficit de capacité» en attendant que l'ensemble de la flotte canadienne - plus de 65 appareils - soit remplacée. Ottawa doit lancer un appel d'offres en 2019 pour trouver un fournisseur.

Selon le conservateur, l'achat de 18 avions intérimaires est une décision «complètement stupide et illogique» qui va «foutre le bordel» dans l'aviation royale canadienne. Il avance, documents à l'appui, que le reconditionnement des appareils actuels permettrait au Canada d'assurer ses obligations militaires jusqu'en 2025, sans avoir à se tourner vers un contrat de gré à gré avec Boeing dans l'intervalle.

Le NPD en rajoute

Alexandre Boulerice, critique néo-démocrate en matière de finances, croit lui aussi qu'un appel d'offres aurait dû être lancé dès le départ dans ce dossier.

«On ne comprend pas pourquoi les libéraux n'ont pas fait un appel d'offres ouvert et transparent, comme ils l'avaient promis, a-t-il lancé en entrevue. Quand ils étaient dans l'opposition, ils avaient critiqué les conservateurs sur le F-35. Maintenant qu'ils sont au pouvoir, ils font la même chose. Je pense qu'on n'aura peut-être pas le meilleur appareil au meilleur prix pour nos besoins, et ce sera sur le dos des contribuables.»

M. Boulerice estime qu'Ottawa pourrait utiliser cette négociation avec Boeing pour tenter d'alléger les sanctions potentielles contre Bombardier. «Peut-être qu'on pourrait leur passer le message, effectivement, de laisser notre compagnie aéronautique québécoise tranquille, s'ils veulent vraiment être capables de vendre leurs produits au gouvernement canadien.»

L'expert en aviation Richard Aboulafia, de la firme américaine Teal Group Corporation, dit lui aussi «ne pas pouvoir s'imaginer» que la procédure judiciaire entreprise par Boeing contre Bombardier ne teintera pas ses négociations avec Ottawa dans le dossier des Super Hornet. «Ce n'était pas la décision la plus avisée de Boeing», a-t-il commenté hier.

Au ministère des Travaux publics, un porte-parole a assuré hier que le gouvernement fédéral s'assurera «d'obtenir le meilleur rapport qualité-prix pour les Canadiens» avec Boeing. Il nous a aussi pointé vers une déclaration faite la semaine dernière dans le dossier de Bombardier. «Le gouvernement du Canada entend préparer une vigoureuse contestation de ces allégations et défendra avec fermeté les emplois de l'industrie de l'aérospatiale des deux côtés de la frontière.»