Alors que le ministre des Finances Bill Morneau est à la recherche de nouveaux revenus afin d'assumer les coûts importants des promesses libérales, le Parti conservateur veut contraindre le gouvernement Trudeau à écarter l'idée de privatiser les grands aéroports du pays avant même le dépôt du budget fédéral, prévu mercredi.

Le gouvernement libéral alimente les craintes et les suspicions des partis de l'opposition et des dirigeants des autorités aéroportuaires depuis qu'il a commandé à la firme Crédit Suisse, en septembre dernier, une étude visant à analyser les avantages et les inconvénients de privatiser les 26 grands aéroports du pays.

Le mois dernier, l'Institut C.D. Howe a affirmé dans une étude que la privatisation de ces actifs pourrait rapporter au trésor fédéral de 7,2 à 16,6 milliards - une somme qui pourrait être utilisée pour financer les opérations de la nouvelle Banque de l'infrastructure que veut lancer le ministre des Finances d'ici la fin de l'année.

Le C.D. Howe est arrivé à ces estimations en se fondant sur des opérations du même acabit qui ont eu lieu en Europe, en Nouvelle-Zélande et en Australie au cours des dernières années.

Dans les années 80, le gouvernement fédéral a décidé de transformer les aéroports en organismes sans but lucratif, qui doivent payer pour l'occupation et l'utilisation des terrains fédéraux. Dans la grande majorité des cas, les baux sont échelonnés sur plusieurs décennies (2072 pour Montréal). La loi interdit aux aéroports de lever du capital-actions tandis que les profits réalisés doivent être investis dans les installations.

Le Parti conservateur veut mettre le holà à toute démarche visant à privatiser les aéroports du pays en déposant une motion en ce sens qui sera débattue dès demain, environ 24 heures avant le dépôt du deuxième budget du ministre Bill Morneau à la Chambre des communes. En déposant une telle motion, la chef intérimaire du Parti conservateur, Rona Ambrose, veut forcer les députés libéraux à se prononcer formellement durant un débat aux Communes.

La motion conservatrice demande au gouvernement Trudeau d'écarter tout projet de vente des aéroports «qui implique (i) l'utilisation des recettes pour financer la Banque de l'infrastructure du Canada, (ii) leur vente à des investisseurs ou à des entreprises soumis à l'influence politique de gouvernements étrangers, (iii) la hausse de frais d'utilisation pour les contribuables et voyageurs canadiens».

La motion invite aussi le ministre Morneau à ne pas alourdir le fardeau fiscal des contribuables ou des entreprises et à présenter un plan pour le retour à l'équilibre budgétaire en 2019, comme les libéraux l'avaient promis durant la dernière campagne électorale.

«Les libéraux doivent contrôler les dépenses publiques. Après avoir rempli les cartes de crédit, ils veulent vendre le mobilier ! Cela pourrait conduire à des frais supplémentaires pour les voyageurs et les contribuables. De même, un aéroport, c'est une porte d'entrée du Canada : ce n'est pas une infrastructure comme une autre», a affirmé le député conservateur Gérard Deltell, en entrevue à La Presse.

Au cours des derniers mois, le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique ont interpellé à quelques reprises le ministre des Transports Marc Garneau et le ministre des Finances au sujet de la possible privatisation des aéroports canadiens. Mais le ministre Garneau a esquivé les questions. Craignant le pire, des aéroports canadiens et le Conseil national des lignes aériennes ont lancé le mois dernier une campagne nationale visant à dénoncer les risques d'une privatisation des principales installations aéroportuaires du pays. Le PDG de l'Administration de l'aéroport international d'Ottawa, Mark Laroche, fait partie de cette coalition.

En entrevue à La Presse, M. Laroche a affirmé que la privatisation des aéroports n'était pas dans l'intérêt public, dans le sens où cela va inéluctablement entraîner une hausse des coûts qui sont imposés aux voyageurs en raison des rendements qui seraient exigés par les investisseurs. Il rappelle aussi que les aéroports du pays sont dirigés par des organismes sans but lucratif qui financent les coûts liés aux activités, à l'entretien et à la sécurité sans l'aide d'Ottawa. En fait, les aéroports versent plus de 1 milliard de dollars au gouvernement fédéral chaque année en frais de loyer.

«Le modèle actuel est unique dans le monde. Il peut être amélioré. Mais il fonctionne bien et il sert bien les Canadiens qui voyagent», a affirmé M. Laroche.

- Avec La Presse canadienne