Le premier ministre du Canada doit aller voir le président américain et il n'en est pas particulièrement ravi. Le président est profondément impopulaire au Canada et ailleurs puisqu'il a fait campagne sur le protectionnisme et les tarifs douaniers.

Le premier ministre veut rester discret. Son plan: arriver et partir de Washington sans créer d'agitation. Il implore même les photographes, en entrant dans la Maison-Blanche, de ne pas le prendre en photo. Il préférerait ne pas être vu avec ce président.

C'était en 1931.

Lorsque Justin Trudeau rencontrera le président américain Donald Trump, lundi, il pourrait se sentir comme l'ancien premier ministre canadien, R.B. Bennett. Le 11e premier ministre devait affronter un terrain miné en rencontrant Herbert Hoover.

Cet exemple de l'époque de la dépression montre comment un président américain peut influencer la carrière d'un premier ministre - certains présidents vont propulser leur popularité, alors que d'autres vont les faire chuter.

Herbert Hoover était un fardeau politique. Le journaliste Lawrence Martin décrit dans son ouvrage The Presidents and the Prime Ministers comment M. Bennett a tenté d'éviter d'être vu lors de son voyage en 1931.

«Vingt-cinq photographes étaient préparés à prendre la traditionnelle photo du président et du dignitaire en visite... Mais le premier ministre Bennett les a arrêtés. (Il a dit) que, considérant que la visite n'était pas officielle, les photos devraient être prises à une autre occasion», est-il écrit dans le livre.

«Le problème, comme plusieurs hauts responsables l'ont compris, était que Bennett ne voulait pas être vu sur la une des journaux canadiens avec Herbert Hoover», poursuit l'auteur.

«La rencontre avec le président ne s'est pas bien déroulée.»

Le premier ministre canadien a aussi évité la presse ailleurs. Le Washington Star avait relaté que les médias avaient pourchassé M. Bennett lors d'une cérémonie au cimetière Arlington. «(Mais) un photographe qui avait suivi (Bennett) s'est fait demander d'arrêter de prendre des photos.»

M. Bennett n'a offert aucune déclaration publique sur son voyage et n'a pas pris les questions. Un journaliste qui lui avait posé une question sur l'espoir des Américains pour une nouvelle voie maritime. «Qu'en est-il du fleuve Saint-Laurent? Je crois qu'il est encore là», avait-il répondu.

L'Associated Press avait rapporté que le premier ministre était passé inaperçu dans le train du retour.

Quelle immense différence avec son autre visite à Washington, lorsqu'il avait visité en grande pompe un autre président, Franklin Delano Roosevelt, qui était adoré par les Canadiens.

R.B. Bennett est arrivé à la Maison-Blanche pour des rencontres visant à abolir les politiques protectionnistes dévastatrices des années Hoover. Lui et M. Roosevelt ont dévoilé une déclaration commune promettant d'augmenter le commerce.

Le «New York Times» a qualifié l'accueil sur la pelouse de la maison blanche de «scène de changement de couleur». Quelque 500 personnes étaient présentes pour accueillir M. Bennett et un dignitaire français. Eleanor Roosevelt a servi le thé. Il y a eu un dîner d'État. Les journalistes étaient sur place pour entendre les premiers mots du président à ses visiteurs: «Je suis heureux de vous voir. Bienvenue à la Maison-Blanche».

Justin Trudeau avait reçu un accueil similaire, l'année dernière, lorsqu'il a rencontré Barack Obama pour le début de ce que certains ont qualifié de «bromance» - un mot qui signifie une amitié profonde entre deux hommes.

Maintenant, il souffle le chaud et le froid avec son nouvel interlocuteur à la Maison-Blanche.

Dans une entrevue de fin d'année avec La Presse canadienne, M. Trudeau a admis qu'il avait une double responsabilité - d'un côté, il doit promouvoir une relation économique forte, mais de l'autre, il doit défendre ses valeurs.

«Dans certaines situations, nous devons travailler de manière très collaborative. Dans d'autres situations, il sera très clair que nous ne partageons pas les mêmes valeurs», avait-il confié.

Il n'est certainement pas le premier dirigeant canadien à avoir en face de lui un président problématique, comme le témoigne l'exemple de Herbert Hoover.

L'impopularité de George W. Bush avait aussi causé des maux de tête aux libéraux de Paul Martin dans les années 2000. Ils s'étaient déchirés pendant des mois sur le bouclier antimissile.

Mais un ancien conseiller de Paul Martin dit qu'il se sent chanceux: travailler avec M. Bush était agréable. D'abord, le président républicain était facile à vivre, a affirmé Scott Reid. Sa Maison-Blanche était remplie de professionnels qui comprenaient la réalité politique au Canada et qui n'étaient pas rancuniers.

«Je ne crois pas que notre situation avec George W. Bush était aussi exigeante, et de loin. J'ai toujours trouvé que (M. Bush) était impressionnant et réfléchi», a-t-il dit.

Les analystes politiques et les diplomates craignaient que le refus de participer au bouclier antimissile ne nuise au gouvernement Martin.

Mais l'administration Bush n'en a pas fait tout un plat.

M. Reid s'est souvenu d'un appel du sous-secrétaire à la défense, Paul Wolfowitz. «C'est correct... Nous savions que cela ne fonctionnerait pas pour vous politiquement. La porte est ouverte si vous voulez revenir», avait-il dit.

«Maintenant que je vous ai au téléphone, je viens de voir "Hôtel Rwanda", hier soir. Est-ce que ce serait possible d'arranger une rencontre avec le général Roméo Dallaire? Nous aimerions vraiment l'entendre et avoir ses idées sur certaines choses», avait-il ajouté.

«C'est littéralement, mot pour mot, comment s'est déroulée cette discussion», a ajouté M. Reid.

L'Histoire nous apprend une autre leçon. Le Canada peut aussi faire de grandes choses avec un président impopulaire. Ronald Reagan, en 1980, était nettement moins populaire que son adversaire démocrate Jimmy Carter auprès des Canadiens. Pourtant, l'un de ses derniers gestes en tant que président est la signature de l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE/ASSOCIATED PRESS

Le premier ministre canadien de l'époque R.B. Bennett et son homologue à la Maison-Blanche Herbert Hoover.