Devant l'opposition grandissante au Sénat, le gouvernement Trudeau propose de retarder de plusieurs mois l'entrée en vigueur de la partie du projet de loi C-29 qui soustrairait les banques à l'application de la Loi sur la protection du consommateur (LPC) du Québec. « C'est un leurre », prévient le sénateur indépendant André Pratte. « Une manoeuvre de diversion » qui est « complètement ridicule », estime le sénateur conservateur Claude Carignan.

«Le gouvernement dit "je vais envahir plus tard le champ de compétence des provinces". C'est complètement ridicule, c'est une attaque directe aux champs de compétence des provinces en matière de droits civils et de protection des  consommateurs. C'est un peu de la panique, ils ont peur qu'on amende le projet de loi», dit le sénateur Claude Carignan.

Le scénario d'amendement de C-29 par le Sénat est bien réel, d'autant plus que le premier ministre du Québec Philippe Couillard a demandé cette semaine au Sénat de «jouer son rôle» et de «bloquer» la partie problématique du projet de loi C-29, qui modifie la Loi sur les banques.

Le sénateur Carignan, qui est le leader de l'opposition conservatrice au Sénat, «pense qu'il y aura un consensus» au sein des 41 sénateurs conservateurs pour retirer les articles controversés du projet de loi C-29 lors du vote au Sénat la semaine prochaine. Il faut l'appui de 53 sénateurs sur 104 pour amender le projet de loi. «Le pouls [du caucus conservateur au Sénat] est assez unanime. Dans les conversations que j'ai eues avec des sénateurs, je n'ai pas senti personne en accord avec cette proposition [du gouvernement]. Je vais tout mettre en oeuvre ce que je peux pour retirer [la partie du projet de loi modifiant la Loi sur les banques]», dit le sénateur Claude Carignan.

Le sénateur indépendant André Pratte, qui compte aussi sur l'appui de plusieurs sénateurs indépendants, qualifie de « leurre » la dernière proposition du gouvernement Trudeau. « C'est une tentative pour séduire certains sénateurs. [Le gouvernement] est prêt à retarder l'entrée en vigueur, mais la loi va être adoptée donc ça ne change pas grand chose », dit le sénateur André Pratte. 

Le gouvernement Trudeau offre au Sénat d'adopter le projet de loi C-29 mais de reporter l'entrée en vigueur de la partie controversée du projet de loi au plus tard jusqu'au 31 mai 2017, le temps que le Sénat puisse étudier ces modifications et fournir ses recommandations au gouvernement. Selon ce scénario, le gouvernement Trudeau resterait toutefois libre d'appliquer ou non les recommandations du Sénat car la loi serait adoptée.

« Nous continuerons de travailler avec les groupes de consommateurs, les intervenants, les provinces et territoires, alors que nous élaborons les réglementations et mettons en oeuvre la loi. De plus, comme le Sénateur Harder l'a confirmé au Sénat hier, le Gouvernement envisage retarder l'entrée en vigueur de certaines mesures spécifiques (section 5) pour donner le temps au comité d'étudier la chose », a indiqué par courriel le cabinet du ministre fédéral des Finances Bill Morneau.

Projet de loi budgétaire

Le gouvernement Trudeau fait valoir aux sénateurs qui veulent amender le projet de loi C-29 qu'il s'agit d'un projet de loi visant à mettre en oeuvre des mesures budgétaires. Le Sénat n'a pas rejeté de projet de loi budgétaire depuis 1993, « un précédent qu'il serait difficile d'invoquer » dans le cas de C-29, selon le leader du gouvernement au Sénat, le sénateur Peter Harder. 

Cet argument ne convainc pas plusieurs sénateurs québécois. « Nous avons le pouvoir constitutionnel de modifier toute loi, incluant des lois budgétaires. Ce n'est pas ce qui va nous empêcher d'exercer notre pouvoir », dit le sénateur Claude Carignan. «Je pense donc qu'un temps de réflexion additionnel pourrait être profitable pour tous en ce qui concerne cette disposition très spécifique qui n'est pas, à mon avis, une mesure budgétaire, a dit jeudi lors des débats la sénatrice indépendante Raymonde Saint-Germain, une ancienne protectrice du citoyen du Québec qui se dit opposée à cette partie du projet de loi C-29. 

Le projet de loi fédéral C-29 a été critiqué au Québec par tous les partis politiques à l'Assemblée nationale, plusieurs experts en droit ainsi que la Chambre des notaires du Québec. Ils reprochent à Ottawa d'empiéter sur les champs de compétence des provinces et de mettre en place des mesures fédérales de protection des consommateurs moins généreuses que la LPC pour les consommateurs. Le Bloc québécois a aussi critiqué la dernière offre du gouvernement de retarder l'entrée en vigueur d'une partie de C-29. «C'est une lâche tentative de noyer le poisson», dit le député bloquiste Gabriel Ste-Marie par voie de communiqué. Adopté mardi dernier à la Chambre des communes, le projet de loi C-20 doit être adopté au Sénat avant de devenir une loi.