La volonté du gouvernement Trudeau d'adopter une loi visant à protéger les sources des journalistes s'est soudainement évanouie, déplore le sénateur indépendant André Pratte.

Dans la foulée des révélations selon lesquelles le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et la Sûreté du Québec avaient mené des opérations de surveillance à l'endroit de plusieurs journalistes, M. Pratte avait proposé de créer un comité parlementaire ayant comme mandat de revoir les lois fédérales dans un délai d'environ deux mois afin de proposer des mesures législatives pour mieux protéger les sources des journalistes.

Le bureau du premier ministre avait donné son appui à une telle initiative au point où un communiqué de presse avait été rédigé. Or, le gouvernement a décidé de faire soudainement marche arrière après que le sénateur conservateur Claude Carignan eut déposé un projet de loi privé la semaine dernière qui accorde une protection aux sources des journalistes.

Le gouvernement Trudeau a dit vouloir éviter «un affrontement» avec les conservateurs au Sénat. Le hic dans cette affaire, a souligné M. Pratte, c'est que les chances qu'un projet de loi privé, parrainé par l'opposition par surcroit, soit adopté sont très minces, alors que c'est tout le contraire quand le gouvernement décide d'en faire sa priorité.

Résultat: le statu quo risque de perdurer dans ce domaine d'autant plus qu'un projet de loi privé meurt au feuilleton dès lors où le premier ministre décide de proroger le Parlement. Il y a de fortes possibilités que Justin Trudeau décide de proroger le Parlement après la fin de la session du printemps, en juin, puisqu'il sera alors presque à mi-mandat.

«Je voulais que ce soit un projet de loi du gouvernement. Les chances qu'on adopte un projet de loi privé sont minces, surtout que le gouvernement va être tenté de proroger le Parlement pour présenter un nouveau discours du Trône. (...) Le communiqué de presse était prêt. On était à une heure de l'annoncer la semaine dernière. Le danger, c'est qu'on va devoir tout recommencer à zéro éventuellement», a dit M. Pratte, un ancien éditorialiste en chef de La Presse.

«J'ai demandé au gouvernement s'il comptait appuyer le projet de loi de M. Carignan. Mais on ne m'a pas répondu. (...) Je suis extrêmement déçu, car je trouve que le gouvernement n'a manifesté aucune volonté de faire avancer ce dossier. Il se trouve que l'intervention fédérale est la seule façon de vraiment protéger les journalistes parce qu'il faut changer des lois fédérales pour le faire», a-t-il dit.

M. Pratte a précisé qu'il faudrait amender le Code criminel et la Loi sur la preuve, qui sont du ressort du gouvernement fédéral.

Pour l'heure, M. Pratte entend appuyer le projet de loi privé du sénateur Claude Carignan. «En général, c'est un bon départ. C'est très bien fait. On voit qu'il a bien fouillé son dossier. Mais il propose de renverser le fardeau de la preuve. Donc, devant un juge, le média n'aurait pas à démontrer qu'il faut protéger une source. La Couronne devrait démontrer le contraire. Mais on peut s'attendre à ce que le ministère de la Justice s'oppose à cela. Donc, je crois que le gouvernement sera très hésitant à accepter un amendement comme celui-là. Il faut donc trouver un juste équilibre qui va rendre cela acceptable pour le gouvernement», a dit M. Pratte.

Il a ajouté que le comité parlementaire spécial aurait pu également étudier le projet de loi de M. Carignan.

«C'est très décevant parce que je trouve que c'est un dossier extrêmement important. Ce n'est pas juste un dossier québécois. Il y a eu plusieurs autres occasions dans le passé de faire avancer le dossier. Ça n'a jamais abouti. C'était la première fois vraiment qu'il y avait un intérêt de la part d'un gouvernement à cause des circonstances que l'on connaît. Mais là c'est mort».