«A lot of bark and no bite», résume Ben Makuch. Traduction : parler fort, agir timidement. «S'il [Justin Trudeau] a vraiment à coeur la liberté de la presse comme le dit son gouvernement, il devrait y avoir des actions», dit le journaliste de Vice News, qui ne voit pas de différence entre les gouvernements Harper et Trudeau en matière de protection des sources journalistiques.

Oui, Ben Makuch a entendu le premier ministre du Canada Justin Trudeau réitérer l'importance de la liberté de la presse dans la foulée des révélations des dernières semaines sur la demi-douzaine de journalistes québécois surveillés par les corps policiers. Sauf que le journaliste de Vice se bat depuis février 2015 devant les tribunaux contre la GRC qui veut saisir son matériel journalistique sur un présumé terroriste. «On m'a envoyé une citation à comparaître sous [le gouvernement] Harper et je suis allé en cour sous Trudeau. Rien n'a changé. Je ne vois pas de différence [entre les deux gouvernements]», dit Ben Makuch en entrevue avec La Presse.

«En campagne, [Justin Trudeau] a dit que le journalisme était important et devait être respecté, mais les corps policiers fédéraux m'ont, sous sa surveillance, amené en cour pour que je donne de l'information et du matériel journalistique, dit le journaliste de 28 ans. [...]. Il n'est pas intervenu, il n'a rien dit.»

L'histoire commence en février 2015, alors que Vice reçoit la visite de la Gendarmerie royale du Canada. La GRC veut obtenir ses entrevues et son matériel journalistique concernant un présumé terroriste du groupe État islamique, Farah Mohamed Shirdon, ancien résidant de Calgary qui a fait l'objet de nombreux reportages de Vice en 2014 et qui fait maintenant face à un procès criminel par contumace. Vice conteste la saisie du matériel journalistique.

«Ils voulaient les extraits de nos conversations par chat, ce qui serait la meilleure preuve selon eux, dit Ben Makuch. J'ai publié ce que j'avais comme information, pourquoi aurais-je laissé de côté du matériel intéressant pour mes reportages ? [...] L'information a été publiée, les gens sont au courant. Je n'ai aucune information concernant un danger imminent pour la sécurité nationale qui pourrait aider à prévenir une attaque. [...] Et je ne crois pas que nous voulons être un bras des forces policières, nous devons servir le public.»

Les six premiers mois, Ben Makuch n'a pu parler à personne de ses démêlés avec la GRC, jusqu'à ce qu'un juge lève le secret sur le litige à l'automne 2015. «Je me sentais isolé, frustré, attaqué par mon propre gouvernement. Je vivais avec ce secret et je voyais ma société faire le débat sur [le projet de loi antiterroriste] C-51 durant les élections. Ça a entraîné chez moi beaucoup de frustration, certainement une légère dépression», se rappelle-t-il.

En mars 2016, Vice perd en première instance, un tribunal ontarien donnant raison à la GRC. Le média a fait appel de la décision, et la Cour d'appel de l'Ontario entendra l'affaire en février prochain. Des coalitions de médias et d'associations de défense des droits et libertés pourront témoigner, même si la GRC avait demandé au tribunal de les exclure du litige.

Au-delà de son dossier contre la GRC, Ben Makuch aimerait voir un «vrai examen de l'étendue des pouvoirs que nous accordons aux agences policières et de renseignement» ainsi qu'une loi fédérale pour protéger les sources journalistiques. Ce mercredi à Ottawa, le journaliste de Vice et dernier lauréat du Prix de la liberté de la presse au Canada participera à une conférence de presse de l'organisme Canadian Journalists for Free Expression en compagnie du journaliste de La Presse Patrick Lagacé, qui a été mis sous surveillance par le Service de police de la Ville de Montréal, et du journaliste canadien Mohamed Fahmy, qui a été emprisonné 400 jours en Égypte.