Le gouvernement Trudeau a été séduit par la philosophie de la Caisse de dépôt et placement en matière de financement de grands projets d'infrastructures tels que le train électrique de Montréal. Et il compte bien reprendre à son compte le modèle d'affaires préconisé par cette institution qui gère le bas de laine des Québécois pour l'adapter et l'étendre au reste du pays.

Selon des informations obtenues par La Presse, le projet de construction du train électrique de Montréal, qui est piloté par la Caisse de dépôt et qui est évalué à 5,5 milliards, a grandement alimenté la réflexion du ministre des Finances Bill Morneau et de ses proches collaborateurs quant aux meilleurs moyens de financer les grands projets d'infrastructures du pays, jugés essentiels pour soutenir la croissance de l'économie qui est faible en ce moment et augmenter la productivité, sans sombrer dans les déficits astronomiques.

Cela explique le vif intérêt du ministre Morneau pour la création d'une Banque canadienne de développement de l'infrastructure (BCDI), une nouvelle institution fédérale qui aurait comme mandat de tirer parti du vaste capital institutionnel qui se trouve au pays et à l'étranger pour réaliser des projets ambitieux comme la construction d'une voie rapide désignée pour VIA Rail entre Montréal et Toronto, par exemple.

Le ministre des Finances pourrait d'ailleurs confirmer la création de cette banque lorsqu'il fera la mise à jour économique et financière à la Chambre des communes mardi, selon des informations qui ont circulé cette semaine dans la capitale fédérale.

La création de la BCDI était l'une des principales recommandations du comité consultatif en matière de croissance économique, qui a remis un premier rapport au ministre Morneau la semaine dernière. Ce comité, présidé par Dominic Barton, directeur général mondial de la firme de consultation McKinsey & Company, comptait une quinzaine de membres, dont Michael Sabia, président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

UN LEVIER INNOVATEUR, INDIQUE SABIA 

Dans une entrevue avec La Presse, hier, M. Sabia a tenu à préciser qu'il ne représentait pas la Caisse de dépôt à ce comité, mais que le ministre a tenu à faire appel à ses services en raison de ses connaissances en tant que dirigeant d'un des plus importants investisseurs institutionnels.

M. Sabia a indiqué que la création de la BCDI serait un projet innovateur pour le gouvernement fédéral qui agirait comme levier auprès d'investisseurs institutionnels comme la Caisse de dépôt au Québec, Teachers' (la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario) ou ceux qui sont établis en Asie ou en Europe.

Car il est évident que le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités ne peuvent à eux seuls combler l'important déficit dans les infrastructures du pays, lequel oscillerait entre 200 et 500 milliards selon les estimations. Le gouvernement fédéral a donc intérêt, selon M. Sabia, à adopter un modèle d'affaires qui faciliterait les investissements des investisseurs institutionnels

« Un tel investissement dans les infrastructures est très attrayant pour les investisseurs comme la Caisse ou Teachers' parce que les infrastructures représentent une occasion d'investissement sécuritaire. Le risque de perte de capital est très bas. Également, le niveau de rendement est plus ou moins stable à long terme et il est prévisible. Dans un monde très incertain, avec beaucoup de volatilité, un tel investissement répond très bien aux besoins de nos clients ou des clients des autres investisseurs institutionnels dans le monde. Donc, c'est la raison pour laquelle c'est gagnant-gagnant », a affirmé M. Sabia.

Selon le comité, une BCDI dotée d'une capitalisation de 40 milliards pourrait attirer 160 milliards de capitaux provenant des caisses de retraite ou autres investisseurs institutionnels sur une période de 10 ans - ce qui équivaut à un effet multiplicateur de quatre.

« Ce n'est pas juste des investisseurs institutionnels canadiens qui pourraient être intéressés. Il y a des milliards de dollars à l'extérieur du Canada appartenant à des investisseurs institutionnels. Ils cherchent actuellement des occasions d'investissement dans les infrastructures. Donc, le Canada, pour toutes sortes de raisons dans le monde actuel, est un pays très attrayant aux yeux des investisseurs institutionnels mondiaux. Il y a un bassin de capital immense pour financer les projets d'infrastructures au Canada. Donc, le bassin, ce n'est pas juste la Caisse, Teachers' ou le Régime de pensions du Canada », a-t-il dit.

En ayant recours à de tels investisseurs, le gouvernement fédéral se donnerait aussi une marge de manoeuvre pour investir dans d'autres priorités sociales, notamment les Premières Nations, ou dans d'autres programmes, a relevé M. Sabia.

« Nous avons développé une façon de financer un projet qui est innovateur et très ciblé pour répondre aux besoins très spécifiques de Montréal. Ce n'est pas une question de reproduire exactement tous les détails de notre modèle. [...] Est-ce que le gouvernement va embarquer dans cette direction avec la stratégie proposée par le comité ? Franchement, je ne le sais pas. Mais j'espère que oui parce que je pense que c'est la bonne voie pour le Canada », a-t-il dit.

Les ambitions de la Caisse

Michael Sabia affirme que la Caisse de dépôt n'est pas tributaire de la création de la Banque canadienne de développement de l'infrastructure pour ses investissements au pays.

« Oui, évidemment, nous sommes intéressés à faire des investissements dans les infrastructures au bénéfice des citoyens. Mais ce n'est pas la raison pour laquelle le comité a proposé la création de cette banque. La Caisse n'a pas besoin de cette banque pour atteindre ses propres objectifs. Nous avons des occasions d'investir à travers le monde et donc ce n'est pas une question de créer des conditions intéressantes ici au Canada pour augmenter nos occasions d'investissement au pays. Nous sommes bien capables de faire des investissements en Australie, en Inde, aux États-Unis, en Europe ou ailleurs », a-t-il dit.