Dans le dossier du financement de la santé, le gouvernement Couillard demande fermement à Ottawa une hausse annuelle sans condition de 6 % par an des transferts fédéraux. Mais il y a cinq ans, Philippe Couillard tenait un autre discours : il estimait qu'il était « légitime » pour Ottawa de « s'appuyer sur son pouvoir de dépenser pour déclencher des changements » et remettait en question la hausse automatique de 6 % par année demandée aujourd'hui par les provinces.

Dans un texte publié en novembre 2011 alors qu'il n'était plus en politique, Philippe Couillard estimait qu'il était « légitime pour le gouvernement fédéral de s'appuyer sur son pouvoir de dépenser pour déclencher des changements et en partager le crédit politique par la suite » et qu'un renouvellement « tel quel » de l'accord de 2004 - qui prévoyait une hausse sans condition de 6 % par année pour le Québec - serait une « occasion ratée ».

« Alors que nous approchons de l'année 2014, certains souhaiteraient que l'accord actuel - notamment la clause d'indexation annuelle de 6 % - soit renouvelé tel quel. Ce serait là une occasion ratée. Les leaders de notre pays doivent tirer les leçons de 2004 et faire de ce prochain rendez-vous une occasion unique d'apporter d'authentiques et perceptibles améliorations aux soins de santé pour tous les Canadiens », écrivait M. Couillard, qui était alors conseiller stratégique à la firme Secor, après avoir été ministre de la Santé du Québec de 2003 à 2008.

Dans l'article publié en 2011 dans le cadre d'un livre de l'institut de recherche Canada 2020, M. Couillard insiste sur le fait qu'un « mécanisme d'imputabilité crédible » doit être établi pour les provinces en santé « dans le cadre constitutionnel existant ». Sur le fédéralisme asymétrique, il fait les observations suivantes : « En 2004, alors que le gouvernement fédéral insistait pour responsabiliser les provinces relativement à leur utilisation des transferts fédéraux, les derniers jours de la conférence se sont passés à discuter des mérites du fédéralisme asymétrique plutôt que des résultats en matière de santé, tels que perçus par les usagers. »

PAS DE CONTRADICTION, DIT COUILLARD

Le cabinet du premier ministre Philippe Couillard, qui est devenu chef du Parti libéral du Québec en 2013 et premier ministre du Québec en avril 2014, estime que « rien dans ce texte de 2011 ne contredit la position actuelle » de Québec. « La position du premier ministre n'a jamais changé : les transferts en santé du fédéral doivent se faire dans le respect des compétences du Québec, encadrés par le principe du fédéralisme asymétrique [...] », a indiqué à La Presse le directeur des relations médias du premier ministre Couillard, Charles Robert.

Québec se base notamment sur des rapports du Conference Board du Canada et du Directeur parlementaire du budget à Ottawa, « qui démontrent que le déséquilibre fiscal entre le gouvernement du Canada et les provinces sera de nouveau présent », a précisé M. Robert par courriel.

HAUSSE DE 6 % LIÉE AU RENDEMENT

En 2011, M. Couillard estimait qu'une hausse automatique de 6 % du financement fédéral « devrait être liée à des progrès substantiels dans le rendement ». Il faisait valoir qu'Ottawa devait « assumer un leadership certain en s'appuyant sur sa contribution financière de façon à devenir un agent du changement et concentrer l'attention de l'ensemble du pays sur l'avenir de nos soins de santé », écrivait-il, concluant son article en suggérant que le prochain accord en santé pourrait être un « formidable levier de changement ».

M. Couillard déplorait le fait que « trop souvent, les discussions fédérales-provinciales sur les soins de santé finissent en épreuves de force et de visibilité ». « Il n'est pas utile de réemprunter cette voie, écrivait-il. Les soins de santé relèvent en grande partie des provinces et, en insistant pour gagner en "visibilité" et "contrôle", Ottawa risque de transformer le débat sur les soins au patient en joutes constitutionnelles. »

RESPONSABILITÉ POUR LES PROVINCES

En 2011, M. Couillard suggérait un mécanisme de responsabilité pour les provinces en santé : placer tous les nouveaux fonds fédéraux « au-delà de la base de référence de 2014 dans un fonds pour l'innovation » accessible aux provinces, mais dont les fonds devraient être approuvés par les commissaires provinciaux à la santé.

M. Couillard suggérait aussi la création d'un conseil national de la santé, qui serait composé des commissaires provinciaux à la santé en plus de représentants du public et des professionnels de la santé. Ce nouvel organisme, qui ne compterait pas d'élus, ferait un rapport annuel de reddition de comptes. Les provinces seraient ultimement responsables de la mise en oeuvre de leurs recommandations. Ces deux suggestions devraient toutefois être modifiées en 2016, le gouvernement Couillard ayant aboli le poste de commissaire à la santé au Québec plus tôt cette année.

Préconisant plusieurs réformes en matière de financement du système de santé, M. Couillard indiquait en 2011 qu'Ottawa pouvait « faciliter de telles modifications » en ayant « la possibilité d'amener ses partenaires [les provinces] à préciser enfin ce que signifie un système centré sur le patient. » M. Couillard écrivait aussi en 2011 qu'il « est difficile de prétendre que le secteur canadien des soins de santé est mal financé », précisant que le Canada occupe le 6e rang des pays de l'OCDE en matière de dépenses de santé par habitant et en pourcentage du produit intérieur brut.

Ottawa a haussé de 6 % par année sans condition les transferts fédéraux en santé depuis 2004. Le gouvernement Trudeau offre plutôt une hausse de 3 % aux provinces à partir de 2016-2017 (reprenant une décision du gouvernement Harper), en plus d'argent ciblé pour les soins à domicile et la santé mentale. Québec et les provinces demandent plutôt à nouveau une hausse de 6 % par année sans condition. Au cours des dernières semaines, le ministre québécois de la Santé Gaétan Barrette s'est dit « pris en otage » par Ottawa, dont l'offre entraînerait une « décapitation » limitant l'accès aux soins. Le ministre Barrette dénonce aussi l'imposition de conditions par Ottawa.