Après avoir affirmé haut et fort que le Canada ne serait plus un cancre en matière de lutte contre les changements climatiques, le gouvernement Trudeau se résigne à faire siennes, du moins à brève échéance, les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) fixées par l'ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper.

Ainsi, le premier ministre Justin Trudeau ne proposera pas de nouvelles cibles de réduction aux provinces lorsqu'il rencontrera ses homologues provinciaux en novembre, durant la prochaine conférence des premiers ministres qui portera sur la lutte contre les changements climatiques, a appris La Presse de plusieurs sources.

Avant de fixer de nouvelles cibles plus ambitieuses, le gouvernement Trudeau estime qu'il doit d'abord se donner un plan crédible et réaliste qui permettra au Canada d'atteindre celles fixées par les conservateurs de Stephen Harper en mai 2015. Ces cibles prévoient que le Canada doit réduire ses émissions de GES de 30% en deçà du niveau de 2005 d'ici à 2030, soit dans moins de 14 ans.

En 2014, les émissions canadiennes de GES se sont élevées à 732 mégatonnes, selon le ministère fédéral de l'Environnement. Le Canada s'est engagé à ramener ces émissions à 622 mégatonnes d'ici 2020 (une diminution de 110 mégatonnes en vertu des engagements de Copenhague) et à 524 mégatonnes d'ici 2030 (une réduction de près de 210 mégatonnes selon les cibles des conservateurs).

Des efforts herculéens

Selon plusieurs experts, les cibles établies par le gouvernement Harper, que les libéraux jugeaient peu ambitieuses lorsqu'ils étaient dans l'opposition, exigeront des efforts herculéens et des mesures contraignantes pour le secteur de l'énergie et du transport pour être respectées.

D'où la décision des mandarins du gouvernement Trudeau de ne pas revoir à la hausse les cibles canadiennes dans l'immédiat. «Il faut d'abord être en mesure d'atteindre ces cibles en ayant un plan crédible pour y arriver avant d'aborder la prochaine étape. Une fois qu'on aura ce plan, on pourra se pencher sur les nouvelles cibles», a indiqué une source gouvernementale.

Au cours des dernières semaines, le gouvernement Trudeau a d'ailleurs soigneusement commencé à préparer le terrain chez les divers groupes environnementaux du pays à ce que les nouvelles cibles du Canada... soient celles adoptées par le gouvernement Harper.

«Il n'y aura pas de nouvelles cibles plus ambitieuses, du moins pas avant que le gouvernement fédéral ait pu démontrer à l'ensemble de la société canadienne comment on peut atteindre les cibles actuelles», a souligné une source bien au fait des intentions du gouvernement libéral.

«Le gouvernement a décidé d'y aller avec une approche qu'il considère comme pragmatique, qui est de ne pas établir de nouvelles cibles, mais bien de démontrer d'abord qu'il est capable d'atteindre celles qui ont été fixées par l'ancien gouvernement.» - Une source au fait du dossier

Quelques mois avant le déclenchement des élections fédérales, en août 2015, Justin Trudeau avait promis qu'un éventuel gouvernement libéral fixerait de nouvelles cibles nationales de réduction des GES, mais qu'il offrirait une certaine flexibilité aux provinces en leur permettant d'élaborer leurs propres plans d'action afin d'atteindre ces objectifs nationaux.

En campagne électorale, M. Trudeau avait aussi promis de convoquer une rencontre des premiers ministres 90 jours après la conférence de Paris sur les changements climatiques afin de définir un cadre national de réduction des émissions de GES. La rencontre a eu lieu en mars à Vancouver, mais aucune nouvelle cible n'a été fixée. Après cette rencontre, la ministre de l'Environnement, Catherine McKenna, avait laissé entendre que les nouvelles cibles seraient dévoilées au terme de la prochaine rencontre des premiers ministres, prévue en novembre.

Mais il appert maintenant que les cibles du gouvernement Trudeau seront celles établies par le gouvernement Harper - que la ministre McKenna avait décrites comme étant un plancher, et non un plafond, lors de la conférence de Paris. «Nous allons faire le travail sérieux pour en arriver à une cible crédible et réaliste pour le Canada, avait alors déclaré Mme McKenna aux journalistes dans la capitale française. Nous allons avoir une cible nationale pour les émissions avec toutes les provinces et les territoires, et on s'attend à ce qu'ils fassent leur part pour atteindre cet objectif.»

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Thomas Mulcair, NPD :

Pour le chef du Nouveau Parti démocratique, Thomas Mulcair, les discours du premier ministre Justin Trudeau relativement aux changements climatiques sonnent de plus de plus creux maintenant qu'il s'avère que son gouvernement sera incapable d'établir des cibles plus ambitieuses en matière de réduction des émissions de GES. «En matière de changements climatiques, on a encore le programme de M. Harper, les cibles de M. Harper, les échéanciers de M. Harper. Donc, il n'y a strictement rien qui a changé», s'est indigné M. Mulcair dans une entrevue accordée à La Presse.

Patrick Bonin, Greenpeace :

Le directeur de Greenpeace au Québec, Patrick Bonin, s'est dit inquiet par rapport à ce qui se trame à Ottawa et à la résistance qui apparaît dans certaines provinces devant le coup de barre nécessaire. «Le gouvernement fédéral devra se tenir debout face aux provinces récalcitrantes qui menacent de faire dérailler la lutte contre les changements climatiques au pays. Niveler vers le bas et choisir le plus petit dénominateur commun ne peut être une option. Le rôle du gouvernement fédéral est de s'assurer que le Canada respecte l'Accord de Paris. Il devrait commencer à se doter d'une cible de réduction des GES en ligne avec ce qu'exige la science et qui devra par conséquent être plus ambitieuse que celle adoptée par Harper», a-t-il dit.

John Bennett, Sierra Club Canada :

Le directeur du Sierra Club Canada, John Bennett, estime que le gouvernement Trudeau doit fixer des cibles plus ambitieuses s'il ne veut pas perdre sa crédibilité devant la communauté internationale. «Il faut des cibles plus ambitieuses. Ce n'est pas acceptable. Le gouvernement ne pourra pas respecter ses engagements de Paris s'il s'en tient aux cibles des conservateurs. Et il va aussi passer à côté d'importantes occasions pour l'économie s'il ne tente pas de réduire le plus rapidement possible les émissions de GES. [...] Cela me préoccupe de voir que ce gouvernement semble plus préoccupé par les sourires devant les caméras que de travailler à réduire les émissions», a-t-il affirmé.