L'actuel processus d'évaluation fédéral des projets du secteur de l'énergie doit être suspendu et immédiatement révisé, affirment plus de 50 groupes environnementaux et militants dans une lettre envoyée au premier ministre Justin Trudeau.

Aucun projet d'oléoduc ne devrait être lancé avant que M. Trudeau n'ait procédé à la réforme de l'Office national de l'énergie (ONÉ), indique la missive, qui est également adressée au ministre fédéral des Ressources naturelles, Jim Carr.

L'évaluation du projet Énergie Est de TransCanada et la décision de l'ONÉ d'accepter le prolongement de l'oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan en Alberta et en Colombie-Britannique devraient donc être annulées, soutiennent ces groupes.

«Si le gouvernement veut que le public refasse confiance au processus d'évaluation ainsi qu'une analyse juste, objective et fondée sur des preuves, il doit complètement revoir cela», a déclaré en entrevue Patrick DeRochie, d'Environmental Defence, l'un des signataires de la lettre.

Selon les militants, l'organisme de réglementation fédéral manque de légitimité en raison des allégations de conflits d'intérêts qui l'ont récemment ébranlé et parce qu'il ne consulterait pas adéquatement les Premières Nations.

De plus, ils font valoir que le processus d'évaluation n'explique pas clairement aux citoyens comment le Canada peut construire des oléoducs et développer l'exploitation des sables bitumineux de l'Alberta tout en respectant ses objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Parmi les groupes ayant signé la missive figurent les grands organismes nationaux comme Greenpeace, Équiterre et Nature Québec, mais aussi des groupes locaux de secteurs qui seraient directement touchés par le passage de l'oléoduc.

Lors de la campagne électorale de 2015, Justin Trudeau avait affirmé que les Canadiens ne faisaient plus confiance au processus de l'ONÉ après que le précédent gouvernement conservateur a passé des années à interférer dans les évaluations afin de s'assurer que l'approbation des projets d'oléoducs soit gagnée d'avance.

Après leur arrivée au pouvoir, les libéraux ont mis en place des mesures intérimaires, notamment en augmentant le nombre de consultations avec les communautés autochtones, afin de conférer une plus grande crédibilité aux évaluations des projets Énergie Est et Trans Mountain le temps qu'ils procèdent à une véritable refonte de l'organisme.

«Le processus de l'ONÉ est »brisé«. C'est indéniable, écrivent les signataires de la lettre au premier ministre. Vous semblez entreprendre une »modernisation« en voulant revoir le processus. Mais en cette période transitoire, les mesures que vous avez mises en place ne peuvent corriger les problèmes sous-jacents.»

Audiences suspendues

L'évaluation du pipeline Énergie Est a été interrompue après que des manifestants eurent forcé l'annulation des audiences publiques à Montréal à la fin du mois d'août. Les protestataires réclamaient la démission de deux des trois membres du comité chargé d'analyser la proposition, à la suite de révélations selon lesquelles ils auraient rencontré l'ancien premier ministre Jean Charest alors que celui-ci travaillait comme consultant pour TransCanada.

«Il est évident que les membres de l'ONÉ qui ont mal agi doivent se récuser, lit-on dans la lettre. Cependant, cela ne résoudra pas les nombreuses lacunes qui minent le processus d'examen des oléoducs au Canada. Il est déraisonnable de croire que les citoyens vont poliment respecter les règles d'un processus qui est une farce, dont la conclusion est connue d'avance, alors que leur eau potable est mise en danger.»

Le prolongement de l'oléoduc Trans Mountain a pour sa part été approuvé en mai, mais le gouvernement fédéral n'a toujours pas accordé son feu vert. Patrick DeRochie a reconnu que plusieurs communautés des Premières Nations avaient donné leur aval à Trans Mountain, mais que de nombreuses autres s'y étaient opposées.

S'il n'est pas allé jusqu'à dire que les communautés autochtones devraient avoir un droit de veto sur tous les projets du secteur de l'énergie qui touchent leur territoire, Patrick Bonin, de Greenpeace Canada, a été sans équivoque. «Il faut respecter ce droit de refus des communautés des Premières Nations qui sont les premières à être affectées par ces projets-là, a-t-il déclaré. Si les projets vont à l'encontre de l'intérêt et de l'opinion de ces communautés, on ne peut pas leur imposer. Elles ont déjà suffisamment subi d'impacts en Alberta et en Colombie-Britannique.»