Les négociations se poursuivent, mais Ottawa n'a toujours pas transféré à Québec les données du défunt registre fédéral des armes d'épaule à Québec, un mois après l'adoption d'un projet de loi qui crée une version québécoise de ce programme.

Le ministre de la Sécurité publique de la province, Martin Coiteux, en a fait formellement la demande le 5 mai à son homologue fédéral Ralph Goodale, dans une lettre obtenue par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Au bureau du ministre Coiteux, on indique que les négociations se poursuivent et « vont bien », mais une porte-parole du Ministère a précisé que c'est Ottawa qui se fait attendre.

Dans cette lettre, le ministre québécois a écrit : «  [...] nous souhaitons obtenir votre collaboration en ce qui a trait au traitement de certains dossiers, notamment la question de la récupération de certaines données autrefois contenues au registre canadien des armes d'épaule, l'accès direct au Tableau de référence des armes à feu ainsi que tout autre élément qui pourrait faciliter la mise en place d'un fichier d'immatriculation des armes à feu sans restriction au Québec. » Le Tableau de référence est une base de données interne de la GRC pour l'aider à décrire et classifier les armes en circulation au Canada.

Prudence du gouvernement fédéral

Le directeur des communications du ministre Goodale, Dan Brien, a confirmé pour sa part que « les données n'ont pas été transférées à Québec », mais il a ajouté : « [...] conformément à notre engagement, nous allons travailler en partenariat avec le gouvernement du Québec afin de déterminer la meilleure façon d'appuyer leurs efforts tout en respectant notre engagement à ne pas rétablir le registre fédéral des armes à feu. »

Ottawa fait toutefois preuve de prudence dans ce dossier, indiquant qu'« il est inapproprié de commenter davantage le partage de renseignements avec le Québec, puisque les dossiers font l'objet » de litiges.

L'un de ces litiges porte sur la destruction rétroactive de données du registre des armes d'épaule, prévue par le gouvernement Harper dans un projet de loi omnibus. Les conservateurs craignaient que des personnes soient en mesure d'accéder aux données de ce registre aboli en 2012, par l'entremise de la Loi sur l'accès à l'information. La commissaire à l'information du Canada, Suzanne Legault, a contesté la constitutionnalité de ces dispositions. Le dossier est toujours devant la Cour fédérale, mais les procédures sont suspendues depuis mars dans l'espoir de conclure un règlement à l'amiable.



Contestation judiciaire


L'autre recours a été intenté en juin par l'Association canadienne pour les armes à feu (NFA), qui affirme que le registre québécois nouvellement créé outrepasse les pouvoirs de la province et enfreint les compétences fédérales en matière de droit criminel. Une première date d'audience a été fixée au 16 août et l'avocat de la NFA, Guy Lavergne, a déclaré à La Presse qu'une première ordonnance de sauvegarde pourrait alors être réclamée.

Me Lavergne a ajouté que son client s'oppose à la transmission des données du défunt registre des armes d'épaule et signalé que la demande d'injonction existante pourrait servir de véhicule judiciaire pour y faire obstacle. 

« S'il y avait un transfert comme celui-là, présentement, quant à moi, il serait illégal. »

- Me Guy Lavergne, avocat de l'Association canadienne pour les armes à feu

L'un des problèmes, a noté le juriste, est le fait que le recours de la commissaire à l'information porte sur les demandes passées en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, et non pas sur les demandes actuelles ou futures.

Mis en cause dans ce dossier, Ottawa s'est contenté de dire : «  [...] nous sommes conscients de la contestation judiciaire par la NFA et [...] le gouvernement du Canada examinera l'affaire et fournira sa position en temps voulu. »

Un deuxième round ?

Ce n'est pas la première fois que la question du transfert des données du registre des armes d'épaule revient devant les tribunaux. En 2015, la Cour suprême du Canada a statué que le gouvernement Harper avait le pouvoir constitutionnel d'ordonner la destruction des données du registre lorsque le Parlement a adopté le projet de loi C-19, qui abolissait ce programme créé par le gouvernement libéral dans la foulée de la tuerie de Polytechnique. Québec tentait de l'empêcher au motif qu'il souhaitait créer son propre registre, et invoquait le principe du « fédéralisme coopératif ». L'arrivée au pouvoir des libéraux de Justin Trudeau et les négociations actuelles entre les deux ordres de gouvernement semblent donc cette fois-ci être de meilleur augure pour les visées de la province.

Pas l'unanimité

L'an dernier, les élus de l'Assemblée nationale ont appuyé à l'unanimité une motion pour dénoncer la destruction des données québécoises du registre fédéral des armes d'épaule. Mais ce consensus s'est effrité devant la création du registre québécois. Plusieurs députés des régions rurales ont exprimé des réserves face au projet de loi 64, piloté par le ministre Coiteux. Les membres du Parti libéral sont venus à un cheveu d'adopter une résolution qui appelait le gouvernement à y renoncer. Mais en fin de compte, la grande majorité des élus ont appuyé la pièce législative lors d'un vote qui s'est tenu le 9 juin. Seulement huit des 125 députés - sept membres de la Coalition avenir Québec et une indépendante - s'y sont opposés.

- Avec la collaboration de William Leclerc