Le gouvernement libéral de Justin Trudeau a été placé sur la sellette concernant le traitement réservé à certains prisonniers lors de la guerre en Afghanistan, alors qu'une pétition soumise au Parlement réclame une enquête publique sur le sujet.

L'ancien député néo-démocrate Craig Scott, qui représentait jusqu'au 19 octobre dernier la circonscription de Toronto-Danforth, a réussi à recueillir la signature électronique de 750 personnes, bien au-delà du cap des 500 signatures nécessaires pour que le document soit présenté à la Chambre des communes.

Le gouvernement aura jusqu'au 30 mai pour réagir - par écrit - et, contrairement aux anciennes pétitions papier présentées aux Communes, la réponse devra être publiée en ligne. Le système de pétitions électroniques est nouveau; il est en vigueur depuis le mois de décembre dernier.

L'avocat d'Ottawa Paul Champ, qui a notamment représenté Amnistie Internationale Canada et l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique dans une série de batailles judiciaires sur la question des prisonniers afghans, a affirmé que l'absence de réponses claires jetait une ombre sur le bilan de l'armée canadienne.

Le Canada n'a jamais mené d'enquête publique sur le sujet, et cela pose problème, selon lui.

Alex Neve, secrétaire général d'Amnistie Internationale Canada, souhaiterait lui aussi que le Canada déclenche une enquête. Il se surprend qu'un enjeu qui suscitait tant de débats politiques par le passé soit maintenant disparu de l'espace public.

«Ce n'était pas une simple note de bas de page dans l'histoire, mais on est en train d'en faire une», a-t-il déploré.

En entrevue avec La Presse Canadienne, M. Scott a affirmé qu'il s'attendait à ce que le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, considère sérieusement l'idée d'une enquête alors que lui-même talonnait les conservateurs sur cette question.

«Je crois qu'une commission d'enquête est absolument nécessaire. Nous avons une connaissance faible et fragmentée sur tout ce qui émane de la question des prisonniers afghans. Malgré plusieurs épisodes et plusieurs démarches, nous ne sommes pas allés plus loin dans notre connaissance de ce qui est arrivé», a-t-il tranché.

M. Scott croit aussi avoir trouvé de nouvelles preuves suggérant que l'armée canadienne aurait suivi les États-Unis en utilisant le système «Person under control» («Personne sous contrôle»). Il s'agit d'une sous-catégorie de prisonniers peu connue, qui avait été critiquée notamment par l'organisme Human Rights Watch. Ces détenus, qui étaient identifiés comme ayant une grande valeur en termes de renseignements, avaient un statut officieux et pouvaient être interrogés par «d'autres agences gouvernementales».

Selon M. Scott, il s'agissait d'un «système parallèle» différent de celui qui avait causé des problèmes à l'ancien gouvernement conservateur, pendant la guerre. À l'époque, on soupçonnait que les prisonniers talibans capturés par les troupes canadiennes avaient été cédés aux autorités afghanes qui auraient utilisé des méthodes de torture. Chacun de ces détenus était toutefois enregistré.

L'idée qu'il y ait possiblement eu des détenus non enregistrés ajoute à la controverse qui avait tant embarrassé les conservateurs.

M. Champ a souligné que ces soupçons nécessitaient à tout le moins des explications. «L'idée que certains (prisonniers) aient été tenus hors des registres serait scandaleuse, mais pas surprenante», a-t-il soutenu.

Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a suggéré qu'il n'était pas en faveur d'une enquête, affirmant que le Canada prenait au sérieux ses obligations en vertu du droit international. Il a ajouté que l'entraînement militaire enseignait aux soldats comment s'occuper adéquatement des prisonniers.

M. Sajjan n'a pas précisé comment il entendait répondre à la pétition, mais son bureau a assuré qu'il se penchait sur la question et qu'il prenait l'enjeu au sérieux.

PHOTO PC

Craig Scott applaudi à la Chambre des communes en mars 2012.