Le sénateur Mike Duffy saura jeudi s'il a finalement commis ou non un crime.

Le juge Charles Vaillancourt, de la Cour de l'Ontario, rendra son verdict sur les 31 chefs d'accusation de fraude, de corruption et d'abus de confiance déposés contre M. Duffy en juillet 2014. Le sénateur a plaidé non coupable à tous les chefs, et le procès devant juge seul s'était amorcé en avril 2015 - avec quelques interruptions.

Le chef le plus grave est assorti d'une peine maximale de 14 ans de prison. S'il est acquitté de toutes les accusations, M. Duffy, actuellement en congé autorisé sans solde, pourra réintégrer ses fonctions avec solde dès que le Sénat reprendra ses travaux.

S'il est reconnu coupable d'au moins un chef, il demeurera en congé autorisé sans solde jusqu'au prononcé de la peine. Une fois condamné, M. Duffy serait suspendu du Sénat au moins jusqu'à un éventuel pourvoi en appel - à moins que le juge ne lui accorde une absolution complète (libération inconditionnelle).

En 2012, le Vérificateur général recommandait que le Sénat adopte des règles plus strictes pour assurer l'admissibilité des dépenses de ses membres à un remboursement de l'État - et donc des contribuables. Un peu plus tard cette année-là, les médias ont commencé à s'interroger sur les réclamations de dépenses du sénateur Duffy. On se demandait aussi si le sénateur résidait vraiment dans la province qu'il devait représenter, en vertu de sa nomination par le premier ministre conservateur, Stephen Harper, en 2008.

Comme un jeu de dominos

Tombait alors la première pièce du domino qui allait ensuite plonger le sénateur dans la disgrâce, avec à sa suite le chef de cabinet du premier ministre, Nigel Wright. Le chef d'accusation de corruption est d'ailleurs lié à la décision de M. Wright de rembourser personnellement au Sénat 90 172,24 $ de dépenses douteuses de M. Duffy - ses frais de logement dans la capitale nationale, puisque sa résidence principale se trouvait, soutenait-il, sur l'Île-du-Prince-Édouard, sa province natale. Or, l'ancien courriériste parlementaire habitait dans la région d'Ottawa depuis des années.

Les 30 autres accusations de fraude et d'abus de confiance sont liées à des sommes que M. Duffy aurait réclamées à l'État pour des dépenses qui ne seraient pas liées à ses fonctions parlementaires, selon la Couronne : des voyages personnels ou des services divers (maquilleuse professionnelle, entraîneur personnel) accordés sous le couvert d'un contrat à l'entreprise de son vieil ami Gerald Donohue, pour éviter un refus au Sénat.

Le procès aura permis d'apprendre les manoeuvres du très secret cabinet du premier ministre et des instances du Parti conservateur pour étouffer le scandale. Mais « l'affaire Duffy » et le « scandale des dépenses au Sénat » auront aussi servi de catalyseurs pour un débat plus large sur le rôle de cette chambre haute et sa réforme éventuelle. Le premier ministre Harper s'est même tourné vers la Cour suprême, qui lui a rappelé qu'une telle réforme requérait un amendement constitutionnel - une boîte de Pandore que bien peu de premiers ministres veulent ouvrir.

En 2014, le chef Justin Trudeau a pris le taureau par les cornes et renvoyé du caucus tous les sénateurs libéraux, afin d'éliminer, disait-il, la partisanerie à la chambre haute.

Pour le chef de l'Opposition officielle de l'époque, le néo-démocrate Thomas Mulcair, toute cette affaire Duffy aura permis aux Canadiens de constater à quel point le Sénat est une institution antidémocratique.