Près de trois mois après la défaite crève-coeur du NPD, quelques voix s'élèvent au parti pour critiquer la gestion de la dernière campagne, dont la crise du niqab.

Dans une entrevue diffusée mardi par une station de radio de Gatineau, l'ex-députée Françoise Boivin a dénoncé le manque d'écoute dont l'entourage de M. Mulcair a fait preuve à l'égard des candidats du Québec dans ce dossier.

Dans la première entrevue accordée depuis sa défaite, cette politicienne néo-démocrate de premier plan est allée jusqu'à remettre en question son adhésion au parti.

« As-tu encore ta carte du NPD ? », lui a demandé l'animateur Roch Cholette, un ancien député libéral à l'Assemblée nationale. « Elle est encore bonne jusqu'à l'expiration, là, donc disons que je ne l'ai pas déchirée », a tranché Mme Boivin, qui était elle-même députée libérale dans le gouvernement de Paul Martin.

Niqab et recentrage

L'avocate est la deuxième néo-démocrate à ainsi exprimer cette semaine des critiques à l'égard de la formation. Cheri Di Novo, une députée provinciale de l'Ontario, est allée jusqu'à réclamer le départ du chef Thomas Mulcair, lors d'une entrevue au Toronto Star publiée mardi. Selon la militante de gauche, M. Mulcair a fait une erreur en déplaçant le parti trop vers le centre pour tenter de prendre le pouvoir.

Françoise Boivin n'est pas allée aussi loin : « Je pense encore que Tom, c'était l'homme de la situation pour cette campagne-là », s'est-elle contentée de dire sur les ondes du 104,7 Outaouais, sans toutefois préciser s'il pourrait l'être pour les prochaines élections. M. Mulcair doit se soumettre à un vote de confiance auprès des militants néo-démocrates en avril à Edmonton.

Les critiques exprimées par Mme Boivin portent en partie sur la gestion du dossier du niqab : « Il ne faut pas se leurrer, j'ai fortement l'impression que la débandade a commencé là », a-t-elle précisé. « C'était tellement simple de se sortir de ça, il y avait tellement quelque chose de facile à faire - sans sortir Tom de sa conviction ! »

La politicienne a décrit certains stratèges nationaux qui entourent le chef comme étant « déphasés », donnant l'exemple d'une rencontre à Ottawa durant la campagne, où elle les a alertés sur les problèmes que la question du voile commençait à poser dans sa circonscription.

« Eux sont tombés en bas de leur siège en disant : "Ben voyons donc ! Il n'y a rien là !" »

« Être aussi déphasé que ça... », a lancé Mme Boivin en entrevue, toujours découragée. « Ce qui est malheureux, a-t-elle précisé, c'est qu'on n'est pas allés chercher l'expertise de gens comme nous. »

Du chemin à parcourir

Lors d'une entrevue avec La Presse en décembre, M. Mulcair a lui-même reconnu que les choses auraient pu être faites différemment dans ce dossier. « Je n'allais certainement pas changer ma position juste pour dire ce que les gens voulaient entendre, ce n'est pas mon genre, mais je trouverais une autre façon de le dire si c'était à refaire », a-t-il admis.

Un stratège néo-démocrate a renchéri hier en disant qu'il fallait faire une distinction entre la sortie de Mme Di Novo, une militante de gauche qui a souvent critiqué les positions de son propre parti, et les commentaires de Mme Boivin, « qui s'inscrivent davantage dans le processus d'examen en profondeur » qui a été lancé par le chef dans la foulée de la défaite du 19 octobre.

M. Mulcair a demandé à des membres haut placés de sa formation, dont le député défait Paul Dewar et la présidente Rebecca Blaikie, de faire rapport sur les ratés de la dernière campagne, qui s'est soldée par la perte de 51 circonscriptions.

Le souvenir de Jack

Mme Boivin a toutefois laissé entendre que M. Mulcair devra lui-même se regarder dans le miroir s'il souhaite vraiment aider le parti. Elle a vanté le travail et la personnalité du défunt chef néo-démocate, Jack Layton, qui était toujours accessible, et que les députés pouvaient appeler même pour parler de leurs « états d'âme », a-t-elle souligné. Mais elle a été moins élogieuse envers le leader actuel.

Est-ce que c'était une campagne plus difficile avec Tom qu'avec Jack Layton ?, lui a demandé l'animateur. « C'était une campagne où on se sentait un peu moins impliqués, a-t-elle répondu. Plus individualiste, je ne peux pas dire que j'ai senti qu'on recherchait nos idées. »

Ce qui est malheureux, a conclu Mme Boivin, c'est qu'« on est passés tellement proche. Est-ce qu'on va être capables de réaligner ces astres-là ? [...] Quand je pense à ce que tout ce que Jack a fait avant, et tout ce que le parti a fait après - et on a travaillé fort dans les quatre dernières années à se préparer, à devenir le gouvernement... [Je vais te dire] dire, il va falloir qu'on se ramène de loin ».

- Avec William Leclerc, La Presse

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Thomas Mulcair a lui-même reconnu que les choses auraient pu être faites différemment dans le dossier du niqab.