Pendant que le Canada peine à atteindre ses cibles d'accueil de réfugiés syriens, la section montréalaise du tribunal de l'immigration se retrouve bien malgré elle plongée dans un débat sur l'indépendance judiciaire du processus, en raison d'une tentative du gouvernement Trudeau d'obtenir la démission de trois commissaires indépendants nommés par le gouvernement Harper.

Les fonctions des commissaires Haig Basmajan, Maria de Andrade et Edward Aronoff, qui siègent en appel à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), avaient été renouvelées par le ministre conservateur Chris Alexander l'été dernier. À titre de commissaires, ils sont des juges de l'immigration, chargés de statuer en toute impartialité sur l'accueil, le refus ou le renvoi de nouveaux arrivants.

Fait inusité, tous trois avaient été reconduits dans leurs fonctions avant la fin de leur mandat, comme s'il y avait urgence de leur assurer dès maintenant un nouveau mandat. Une fois en fonction, un commissaire est inamovible pour la durée de son mandat, à moins d'un problème grave dans la conduite de son travail.

Au nom du premier ministre

Mais en décembre, les trois commissaires montréalais ont reçu une lettre du leader du gouvernement à la Chambre des communes, Dominic LeBlanc, qui leur demandait au nom du premier ministre de choisir volontairement de ne pas exercer le mandat qui venait de leur être confié.

Une trentaine d'autres personnes nommées par les conservateurs au sein d'une série d'organismes fédéraux à la toute fin de leur mandat ont reçu une demande similaire. Le gouvernement Trudeau précise que dans tous ces cas, le Parlement n'avait pas eu l'occasion d'examiner les nominations avant sa dissolution et les élections générales.

«Ceci ne constitue pas un commentaire sur les personnes nommées, il s'agit de l'engagement du gouvernement d'avoir un processus adéquat et des nominations ouvertes et transparentes. Ceux qui choisissent de démissionner peuvent être considérés dans le processus pour combler les postes vacants», a précisé à La Presse Raymond Rivet, directeur des affaires ministérielles et médiatiques au Bureau du Conseil privé, le ministère du premier ministre.

Aux bureaux montréalais de la CISR, les questions ont été transmises au gouvernement. Les trois commissaires, contactés par La Presse, n'ont pas répondu.

«Le mot qui circule, c'est qu'ils ne démissionneront pas», a relaté hier Me Jean-Sébastien Boudreault, président de l'Association québécoise des avocats en droit de l'immigration.

«Oui, probablement que ça faisait bizarre de les avoir renouvelés dans leur fonction sans attendre la fin de leur mandat. Mais ce sont de bons commissaires, qui rendent des décisions justes et équitables», dit-il.

Inquiétude quant à l'indépendance

D'autres s'inquiètent de voir la politique se mêler de ce dossier alors que l'indépendance des tribunaux vis-à-vis le pouvoir exécutif est garantie par la Constitution.

«Les commissaires sont des décideurs, des juges administratifs. Lorsque le gouvernement écrit à ces décideurs leur demandant de démissionner de leurs fonctions, il mine leur indépendance judiciaire. Le gouvernement s'aventure sur une voie périlleuse qui frôle l'ingérence politique», affirme Me Stéphane Handfield, un ancien commissaire redevenu avocat spécialisé en immigration.

Kyle Matthews, chercheur de l'Université Concordia et spécialiste des droits de l'homme ayant travaillé pour le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et comme conseiller de la Chambre des communes sur le sujet, croit que la CISR est mûre pour une réforme.

«Certains commissaires sont très compétents, mais il y a aussi des gens qui sont parfois nommés là pour des raisons politiques plutôt que pour leur expertise. Veut-on un système où les gens sont nommés parce qu'ils ont des positions plus à droite, ou plus à gauche ? Veut-on un système où à chaque élection, ces juges doivent partir et où on perd cette expertise ? Je pense qu'il y a de meilleures façons de faire», dit-il.