La Cour suprême du Canada est prête à se lancer dans une bataille juridique avec le gouvernement fédéral quant aux nouvelles règles sur les technologies de l'information (TI) qui pourraient, selon elle, menacer l'indépendance du plus haut tribunal du pays, indiquent des documents récemment rendus publics.

La Cour suprême n'est pas seule à se préoccuper des nouvelles mesures: la Cour fédérale, la Cour d'appel fédérale, la Cour martiale d'appel et la Cour canadienne de l'impôt sont toutes préparées à contester le fait que le ministère des technologies de l'information puisse s'impliquer dans leurs dossiers numériques.

Il appartient maintenant au gouvernement libéral de décider comment gérer cet enjeu délicat, né d'une décision de l'ancien gouvernement conservateur qui est entrée en vigueur lors de l'élection fédérale.

Ces nouvelles mesures forcent les tribunaux à passer par Services partagés Canada pour effectuer leurs achats liés au TI - tels que les serveurs, les routeurs et les logiciels - plutôt que de se les procurer eux-mêmes. Les cours avaient ce pouvoir jusqu'au 1er septembre, lorsque les nouvelles règles ont été mises en place et que les tribunaux sont devenus les « clients mandataires » de Services partagés Canada, qui supervise les achats et les services numériques de 43 des plus grands utilisateurs de TI au gouvernement fédéral.

Cette décision, approuvée par le cabinet conservateur en mai 2015, était censée faire économiser de l'argent au gouvernement étant donné que le ministère achète en gros les produits, et améliorer la sécurité informatique puisque Services partagés Canada fait affaire avec des fournisseurs fiables.

Des documents d'information fournis au premier ministre Justin Trudeau peu de temps après son entrée en fonction démontrent que les tribunaux s'inquiètent de l'implication d'un ministère du gouvernement dans leurs services de TI et « des incidences apparentes pour contrôler leurs données » qui pourraient porter atteinte à l'indépendance judiciaire.

« Ils doivent garder le contrôle de leurs données, pas seulement pour des préoccupations de confidentialité, mais aussi parce qu'un système judiciaire indépendant ne peut pas tolérer que ses informations délicates soient contrôlées par une autre branche du gouvernement », est-il écrit dans un dossier abordant les enjeux urgents auxquels doit faire face le nouveau gouvernement.

Dans une missive datée du mois d'août adressée au plus haut fonctionnaire du gouvernement, des représentants des tribunaux ont martelé qu'ils ne devaient pas être soumis à la supervision de Services partagés Canada et qu'ils devraient être exclus de cette mesure tout comme les agents du Parlement - dont le vérificateur général, la commissaire à la vie privée et la commissaire à l'information.

Si le gouvernement ne recule pas sur la décision de son prédécesseur, les tribunaux « sont prêts à entreprendre des recours juridiques », ont-ils écrit.

La recommandation au premier ministre Trudeau sur cette question a été caviardée dans les documents obtenus par La Presse Canadienne en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Une porte-parole de la ministre des Services publics Judy Foote n'a pas répondu pour préciser ce que le gouvernement libéral allait faire à la lumière de ces critiques.

Services Partagés Canada a écrit dans un courriel que l'agence ne faisait qu'appliquer les « exigences législatives et juridiques », dont « la nécessité de conserver l'indépendance judiciaire », sans toutefois préciser comment cela fonctionnait concrètement.