Il est important que les Canadiens puissent débattre de la question de la place du niqab dans la société canadienne et aient leur mot à dire à ce chapitre, estime Andrew Bennett, l'ambassadeur du Bureau de la liberté de religion.

Au cours d'une entrevue avec La Presse Canadienne mercredi, alors qu'il participait à une conférence sur la liberté de religion, à Ottawa, M. Bennett a rappelé que son organisme ne se mêle pas des dossiers de politique intérieure canadienne, que son mandat est de défendre la liberté de religion à l'étranger.

Néanmoins, il s'est dit conscient que le port du niqab est une question délicate et qu'il est important que les Canadiens en discutent.

Cette question du port du niqab a suscité un débat au Canada depuis que le premier ministre Stephen Harper a annoncé, lors d'un passage à Victoriaville, qu'il entendait interjeter appel d'un jugement de la Cour fédérale qui autorisait une femme à garder son visage couvert par un niqab lors d'une cérémonie de prestation de serment pour obtenir la citoyenneté canadienne.

M. Bennett a dit estimer que le fait que le Parlement canadien tienne ce qu'il a appelé un vigoureux débat sur la question est fantastique et prouve que nos institutions démocratiques sont efficaces et permettent de tels débats.

Depuis quelques jours, les conservateurs tentent de mieux expliquer leur position sur la question, affirmant qu'il n'est pas convenable de se couvrir le visage avec un niqab lors d'une cérémonie de citoyenneté, mais qu'il peut être convenable de le faire lors d'autres activités ou en d'autres circonstances, comme dans la fonction publique fédérale.

Le premier ministre Harper lui-même avait soutenu que le port du niqab était contraire aux valeurs canadiennes et était «enraciné dans une culture qui est contre les femmes».

«C'est le point de vue que le premier ministre a défendu et c'est un point de vue qui se défend», a commenté le président du Conseil du trésor, Tony Clement, qui est aussi responsable de la fonction publique fédérale.

«Cela ne veut pas dire que vous pouvez imposer cette opinion au travail ou dans la vie privée. Mais s'il y a un endroit où nous pensons que nous avons le droit et l'obligation de défendre les valeurs canadiennes, c'est bien lors d'un acte qui consiste à accepter la citoyenneté canadienne», a poursuivi le ministre Clement.

Le Bloc espère que la position du NPD lui profitera

Le Bloc québécois espère réaliser des gains au détriment du Nouveau Parti démocratique (NPD) en raison de la position de la formation de Thomas Mulcair sur le port du niqab.

Les néo-démocrates ne sont pas en phase avec la population québécoise dans ce dossier, selon le chef bloquiste Mario Beaulieu, qui espère que cela fera bouger l'aiguille en faveur du Bloc québécois dans les sondages en prévision des élections générales prévues en octobre 2015.

«Comme on défend la position très largement partagée au Québec et qu'on défend aussi le principe de l'égalité hommes-femmes, je pense que oui, ça va contribuer à une remontée du Bloc», a-t-il affirmé jeudi en entrevue téléphonique avec La Presse Canadienne.

La formation indépendantiste casse de plus en plus de sucre sur le dos du NPD sur la question du port du niqab, qui alimente les débats sur la colline du Parlement depuis quelques semaines.

Mario Beaulieu est d'avis que le port de ce type de voile devrait être interdit tant dans la fonction publique que lors de la prestation de serment de citoyenneté, voire dans la sphère publique.

«Pour nous, les services publics doivent se donner et être reçus à visage découvert. C'est tout à fait clair», a-t-il exposé à l'autre bout du fil.

«Pour ce qui est de l'espace public en général, on (le Bloc) n'a pas établi de position comme tel. (...) Personnellement, ce n'est pas quelque chose que j'approuve. Est-ce qu'on doit l'interdire sur la place publique? C'est un débat, je pense, qui doit être fait», a développé M. Beaulieu.

Le débat sur le niqab a fait surface sur la scène fédérale depuis que le premier ministre Stephen Harper a annoncé que le gouvernement contesterait un jugement de la Cour fédérale qui accordait à une femme le droit de prêter serment à visage couvert après s'être formellement identifiée.

Le chef du NPD, Thomas Mulcair, s'était rangé derrière la décision du tribunal ontarien, mais avait refusé à de multiples reprises, mercredi, de dire s'il jugeait acceptable qu'une employée de l'État porte un niqab dans le cadre de ses fonctions.

Son député montréalais Alexandre Boulerice l'a fait jeudi, à l'issue de la période des questions.

Les néo-démocrates, a-t-il spécifié, s'opposent au port du voile dans la fonction publique, mais jugent que cela est acceptable dans le cadre d'une cérémonie de citoyenneté - après avoir confirmé son identité auprès des autorités responsables.

«Moi, comme la plupart de mes collègues, on veut vivre dans une société où les gens sont à visage découvert. Et quand vous avez des services publics, vous devez voir leur bouche, leur face», a-t-il résumé en mêlée de presse au foyer des Communes.

Invité à réagir aux espoirs de gains politiques du chef bloquiste dans les circonscriptions du Québec au prochain scrutin, il s'est contenté de lâcher deux mots.

«Bonne chance», a-t-il dit en esquissant un sourire.

Le président du Conseil du trésor, Tony Clement, a affirmé mercredi qu'il jugeait acceptable qu'une femme porte ce type de voile pour exercer un emploi dans la fonction publique, mais pas au moment de prêter serment de citoyenneté.

«Si un individu peut faire le travail, c'est ça le critère», a-t-il déclaré en point de presse.

La prestation de serment, elle devrait se faire «ouvertement, avec transparence et devrait correspondre aux valeurs canadiennes, incluant l'égalité hommes-femmes», a poursuivi M. Clement.

Le chef libéral Justin Trudeau, qui a reproché au gouvernement Harper sa décision de porter le jugement de la Cour fédérale en appel, a rappelé mercredi que sa formation était en faveur du port du voile tant à titre de travailleur de l'État que de nouvel arrivant au Canada.

«Pour moi, ce que M. Clement a dit, c'est la bonne chose, effectivement, mais la réalité, c'est que ça souligne à quel point il y a des contradictions dans ce que le gouvernement essaie d'expliquer comme position», a conclu M. Trudeau.

Les dernières journées à Ottawa ont donné lieu à une série de propos controversés de part et d'autre sur la question musulmane.

Le premier ministre Harper a notamment déclaré en Chambre, mardi, que le port du niqab était une «pratique (...) enracinée dans une culture misogyne», toujours en référence au jugement de la Cour fédérale.

Les chefs néo-démocrate et libéral lui ont tour à tour reproché par la suite d'avoir tenu des propos inacceptables à l'endroit des femmes musulmanes.