Des experts du milieu juridique craignent que le projet de loi antiterroriste du gouvernement fédéral - qui vise à enrayer toute «propagande terroriste» - puisse mener à des dérives et s'appliquer sur des discours qui n'ont rien à voir avec des menaces violentes.

Selon les professeurs de droit Craig Forcese et Kent Roach, la définition de «propagande» du gouvernement fédéral est «dangereusement» trop large.

Le projet de loi, déposé à la Chambre des communes la semaine dernière et adopté en deuxième lecture, lundi, permettrait aux agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), de réclamer un ordre de la cour pour retirer des sites Internet ce qu'ils considèrent comme de la propagande terroriste.

Le projet de loi sera maintenant étudié par un comité parlementaire.

Dans un rapport déposé lundi, MM. Forcese et Roach, qui enseignent respectivement à l'Université d'Ottawa et l'Université de Toronto, disent appuyer le principe du projet du gouvernement.

Par exemple, ils sont d'accord avec l'idée de supprimer du contenu où l'on encourage quelqu'un à commettre un acte terroriste - des concepts juridiques clairs, selon les experts.

Or, lorsque le gouvernement veut intervenir pour effacer tout message «qui fait la promotion et défend les actes terroristes en général», il pourrait pénaliser plusieurs causes englobées indirectement par cette définition. Par exemple, les messages des militants qui contestent le régime al-Assad en Syrie pourraient entrer dans cette catégorie.

Les chercheurs s'inquiètent aussi, que, en vertu de ces nouveaux règlements, les autorités puissent mener des perquisitions sans mandat et détenir préventivement des personnes soupçonnées de faire de la «propagande terroriste». Encore une fois, ils reprochent au gouvernement de ne pas être assez précis dans les critères qui permettraient aux policiers de procéder à de telles opérations.

MM. Forcese et Roach croient que les conservateurs devraient s'inspirer du Royaume Uni, qui a mis en place des mesures multidisciplinaires visant les écoles, les professionnels de la santé, ainsi que les milieux carcéraux.

Le gouvernement conservateur a proposé cette nouvelle loi en réaction aux attaques du mois d'octobre dernier qui avaient tué deux soldats.

Les changements législatifs permettraient au Services canadiens du renseignement de sécurité (SCRS) de devenir une agence qui aurait pour mandat de déjouer activement les attaques terroristes. À l'heure actuelle, le SCRS ne fait que récolter et analyser de l'information.

Le gouvernement prévoit aussi inclure dans le Code criminel toute incitation à commettre une attaque.

Le Nouveau parti démocratique (NPD) estime que le plan «inefficace» du gouvernement porte atteinte aux libertés des Canadiens. Le Parti libéral du Canada (PLC) s'est prononcé en faveur du projet de loi, tout en promettant, s'il est porté au pouvoir, d'accroître la surveillance auprès des agences de renseignements.

Les menaces d'Al-Shabab confortent Blaney

Le ministre de la Sécurité publique a deux messages à lancer dans la foulée des menaces formulées par le groupe islamiste Al-Shabab. Aux citoyens, il dit de continuer à magasiner. Et aux parlementaires, il demande d'adopter le projet de loi antiterroriste C-51.

Selon Steven Blaney, les habitudes de consommation des Canadiens ne devraient pas être perturbées par le groupe extrémiste somalien, qui a proféré dans une vidéo des menaces à l'endroit de plusieurs centres commerciaux, dont le West Edmonton Mall, en Alberta.

«J'encourage les gens à continuer à vaquer à leurs occupations, et bien sûr à continuer à faire leur magasinage», a plaidé le ministre Blaney en point de presse, lundi, dans le foyer des Communes.

Mais en même temps, les avertissements contenus dans l'enregistrement témoignent de l'urgence d'adopter sans plus tarder le projet de loi C-51, a-t-il fait valoir du même souffle.

«C'est la raison pour laquelle il est important de donner (aux agences de sécurité et aux corps policiers) des outils pour qu'ils puissent veiller sur nous», a soutenu M. Blaney, exhortant l'opposition à appuyer le projet de loi déposé à la fin janvier.

Le lien établi entre ces menaces et la mesure législative actuellement à l'étude au Parlement a été dénoncé par le Nouveau Parti démocratique (NPD), qui a accusé M. Blaney d'instrumentaliser C-51.

«J'ai l'impression qu'on essaie de faire une campagne de peur avec C-51, et c'est vraiment décevant», a laissé tomber la porte-parole du parti en matière de sécurité publique, Rosane Doré Lefebvre.

«Je pense qu'on essaie de mousser une campagne électorale avec un enjeu qui ne devrait pas être partisan», a-t-elle poursuivi en point de presse, lundi après-midi.

Selon le Parti libéral du Canada, Steven Blaney devrait faire preuve de «la même célérité» à adopter des amendements au projet de loi qu'à faire des liens entre ce dernier et les menaces du groupe Al-Shabab.

«Si on renforce les pouvoirs policiers, qu'on renforce aussi les contrôles nécessaires pour s'assurer que la démocratie aussi soit bien respectée sous tous ses angles», a dit aux journalistes le député Stéphane Dion.

La vidéo de 76 minutes, qui relate l'attaque perpétrée en 2013 contre le Westgate Mall, à Nairobi, contiendrait une brève référence au West Edmonton Mall. Al-Shabab avait revendiqué la responsabilité de l'attaque à Nairobi, qui a fait 67 morts.

«Et si un tel attentat se produisait au Mall of America au Minnesota? Au West Edmonton Mall au Canada? Ou sur l'avenue Oxford à Londres?», affirme un homme masqué.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a ouvert une enquête sur l'enregistrement, qui a fait surface la fin de semaine dernière.