Une récente hausse des signalements de transactions financières qui seraient liées au financement du terrorisme au Canada incite le ministre des Finances Joe Oliver à demander à un comité parlementaire de se pencher sur ce phénomène et de proposer des mesures pour tarir ces sources de financement illicites.

Dans une lettre qu'il a fait parvenir hier au président du puissant comité des finances de la Chambre des communes, James Rajotte, le ministre Oliver soutient qu'il s'agit d'une question urgente à la lumière de la découverte par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) d'une cellule terroriste active à Ottawa.

La semaine dernière, la GRC a déposé des accusations contre trois individus soupçonnés d'être des sympathisants du groupe armé État islamique. L'un d'eux, Awso Peshdary, résidant d'Ottawa âgé de 25 ans, a été accusé d'avoir participé à une activité d'un groupe terroriste et d'avoir facilité une activité pour un groupe terroriste.

Deux autres hommes d'Ottawa, John Maguire, 24 ans, et Khadar Khalib, 23 ans, ont aussi été accusés dans le cadre de l'enquête de la GRC. Ces deux individus sont considérés par la GRC comme des membres actifs du groupe armé État islamique. John Maguire aurait été tué en Syrie, mais la GRC affirme ne pas détenir de preuves incontestables à cet égard.

Question urgente

«La récente découverte par la GRC d'une cellule terroriste de l'EI oeuvrant au Canada démontre qu'on ne peut pas surestimer l'importance et l'urgence de cette question», affirme le ministre Oliver dans sa missive, que La Presse a obtenue.

«Dans un environnement de plus en plus dangereux où les menaces à la sécurité prennent une importance croissante, je crois que votre étude serait extrêmement opportune et qu'elle fournirait des conseils sur la façon dont nous pouvons continuer à être vigilants à l'égard de gens qui envisagent d'abuser de notre système financier afin de commettre des actes terroristes, tant au pays qu'à l'étranger», ajoute le grand argentier du pays.

Plus précisément, le ministre Oliver souhaite que le comité étudie l'effet du flux de fonds illicites sur les économies mondiales, propose des moyens d'améliorer les capacités d'intervention du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), évalue la coopération et les échanges de renseignements entre le Canada et ses principaux partenaires dans la lutte contre le financement d'activités terroristes, entre autres choses.

À la réunion des ministres des Finances des pays du G20, à Istanbul, la semaine dernière, la question du financement du terrorisme et des produits de la criminalité figurait en tête de liste des priorités à l'ordre du jour. Les ministres de ces pays se sont engagés à l'unanimité à «approfondir la coopération dans la lutte contre le financement du terrorisme».

234 alertes

Dans son dernier rapport déposé au Parlement, le 20 novembre dernier, CANAFE a indiqué avoir transmis, en 2014, 1143 signalements relativement à des transactions financières suspectes aux services de police et aux organismes de sécurité nationale afin de les aider dans leurs enquêtes. De ce nombre, 234 alertes portaient sur le financement du terrorisme et d'autres menaces à la sécurité du Canada. Les autres avaient trait à des cas de blanchiment d'argent.

En 2013, CANAFE avait transmis 919 cas de renseignements financiers aux autorités policières. Il a été impossible de savoir hier soir combien concernaient les activités terroristes en 2013.

Des environnementaliste craignent d'être visés

Des groupes environnementaux s'inquiètent de la portée du nouveau projet de loi antiterroriste et des impacts qu'il aura sur le mouvement environnemental et sur les manifestants canadiens.

Le projet de loi C-51 définit entre autres le terrorisme comme le fait d'«entraver le fonctionnement d'infrastructures essentielles». Il accorde aussi au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) le pouvoir de prendre lui-même des mesures contre des menaces potentielles au pays et à l'étranger pour les «réduire» et les perturber.

Le document précise qu'«il est entendu que sont exclues les activités licites de défense d'une cause, de protestation, de manifestation d'un désaccord ou d'expression artistique».

Mouvement antipétrole

Des groupes environnementaux craignent néanmoins que ces nouveaux pouvoirs soient utilisés pour nuire aux opposants de l'industrie des sables bitumineux.

«C'est un cadeau préélectoral à l'industrie pétrolière, affirme Keith Stewart, directeur de la campagne Énergie chez Greenpeace Canada. Cela veut dire que le SCRS et la GRC vont activement tenter de nuire à quiconque dit qu'on devrait agir pour lutter contre les changements climatiques.»

Les craintes de Greenpeace sont alimentées entre autres par un document dévoilé par La Presse lundi, dans lequel la division du renseignement de la GRC s'intéresse à ce qu'elle appelle le «mouvement antipétrole canadien».

Cette «Évaluation des renseignements relatifs aux infrastructures essentielles» décrit les préoccupations du corps policier à l'égard d'une «faction petite, mais encline à la violence». Elle s'attarde aussi à des organismes comme Greenpeace et à leur financement, dont une partie proviendrait d'organisations étrangères.

Selon M. Stewart, l'analyse du corps policier fédéral est inquiétante en ce qu'elle englobe tout le monde sous l'étiquette de mouvement antipétrole: «les manifestants pacifiques et ce qu'ils appellent des "extrémistes violents"», dit-il.

Un porte-parole du ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, affirme que les changements ont pour but de «protéger les Canadiens contre la menace du terrorisme djihadiste qui évolue constamment».

«Une chasse aux sorcières»

Mais Steven Guilbault abonde dans le même sens que son collègue de Greenpeace. Le directeur principal d'Équiterre souligne que les groupes environnementaux sont déjà les cibles d'attaques verbales des ministres conservateurs et de vérifications de l'Agence du revenu du Canada. «C'est une véritable chasse aux sorcières, et là, en donnant des pouvoirs accrus aux forces de sécurité, on ouvre la porte à d'autres abus», dénonce M. Guilbault.

- Hugo de Grandpré