Fusillade au parlement. Participation du Canada aux frappes aériennes en Irak. Allégations de harcèlement sexuel. Baisses d'impôts de plusieurs milliards de dollars - avant même le dépôt d'un budget... La session parlementaire qui a pris fin hier à Ottawa aura été tout sauf ordinaire. Et l'année 2015 s'annonce tout aussi tumultueuse, alors que les partis fourbissent leurs armes en vue de la bataille électorale du mois d'octobre. Nos journalistes Joël-Denis Bellavance et Hugo de Grandpré reviennent sur un automne historique en politique fédérale.

Le Canada déclare la guerre au groupe État islamique



Le premier ministre Stephen Harper a soigneusement préparé le terrain pour que le Canada participe aux frappes aériennes en Irak contre le groupe armé État islamique (EI).

Il a d'abord annoncé en septembre le déploiement d'une soixantaine de militaires pour conseiller les troupes irakiennes sur les mesures à prendre pour contrer l'offensive de l'EI. Mais cette modeste mission était le prélude à un engagement plus important. À la demande des États-Unis, Ottawa a accepté de déployer six avions de chasse, deux appareils Aurora (pour mener des missions de renseignement, de reconnaissance et de surveillance), ainsi qu'un avion stratégique CC-150 Polaris (pour ravitailler en carburant les C-F18 en plein vol). En tout, 600 militaires ont été envoyés sur place dans le cadre d'une mission de six mois qui prendra fin en mars.

M. Harper a livré un vibrant plaidoyer pour cette intervention durant le débat qui a eu lieu en Chambre, disant que le pays ne pouvait demeurer à l'écart pendant que des groupes terroristes tuent sans discernement des femmes et des enfants. Le NPD s'est opposé avec force à l'initiative. Le chef néo-démocrate, Thomas Mulcair, a su relever le débat en affirmant que le Canada mettait les deux pieds dans un bourbier duquel il serait difficile de se sortir. Il a du coup complètement éclipsé le chef libéral Justin Trudeau, qui a soufflé le chaud et le froid sur la justesse d'une telle intervention, en plus de faire une blague de mauvais goût. En éditorial, l'influent quotidien The Globe and Mail s'est montré cinglant envers le chef du troisième parti: «Silence, Justin. Les adultes parlent.»

La fusillade au parlement provoque une onde de choc



Le 22 octobre vers 9h50, Michael Zehaf Bibeau tue un soldat qui monte la garde devant le Monument commémoratif de guerre, puis se rue dans le parlement, où il est rapidement abattu par le sergent d'armes Kevin Vickers.

La nouvelle de cette attaque, qui survient deux jours après celle de Saint-Jean-sur-Richelieu, fait le tour du monde. Et à Ottawa, elle rend encore plus réel le récent débat sur la participation du Canada aux frappes aériennes en Irak. L'onde de choc de l'incident, quant à elle, ébranlera la scène politique fédérale encore longtemps. Dès le lendemain, la Chambre des communes recommence à siéger et le premier ministre tranche qu'il s'agit d'une attaque terroriste. Il promet de déposer un projet de loi «de manière expéditive» pour donner aux forces de l'ordre plus d'outils pour lutter contre la menace terroriste au pays. Ce projet devrait être déposé tôt en 2015.

Un débat s'engage avec le chef du NPD, Thomas Mulcair, qui remet en doute le caractère «terroriste» de l'incident. La Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui affirme quant à elle que la vidéo tournée par le tireur donne foi à la position du premier ministre, refuse toujours de la rendre publique. Sur le plan de la sécurité parlementaire, pendant ce temps, le président de la Chambre des communes a annoncé la création prochaine d'une force de sécurité unifiée pour les édifices parlementaires. La prochaine étape sera la coordination de cette force avec la GRC, qui assure la protection des aires extérieures de la colline parlementaire.

Harper distribue déjà les fruits du surplus



Le gouvernement Harper a promis de rétablir l'équilibre budgétaire au plus tard en 2015, date des prochaines élections. Grâce à une croissance économique plus importante que prévu, Ottawa aurait pu engranger un premier surplus dès cette année. Mais le premier ministre Stephen Harper a décidé d'utiliser dès maintenant une portion importante des surplus prévus au cours des cinq prochaines années en accordant aux contribuables des baisses d'impôts rétroactives au 1er janvier 2014 et en bonifiant la prestation universelle pour la garde d'enfants dès le 1er janvier 2015.

À elles seules, ces mesures priveront le fisc de cinq milliards de dollars en revenus par année. M. Harper a aussi annoncé un nouveau programme pour retaper les infrastructures appartenant au gouvernement fédéral de 5,8 milliards de dollars répartis sur trois ans. Résultat: la cagnotte est presque vide avant même le dépôt du dernier budget et les élections fédérales d'octobre. S'ils prenaient le pouvoir, le NPD et le Parti libéral pourraient être forcés d'augmenter les impôts pour financer leurs promesses électorales, prêtant ainsi le flanc aux attaques des conservateurs. Les partis de l'opposition ont donc accusé le gouvernement Harper d'utiliser les surplus à des fins électorales.

Le Parti libéral de Justin Trudeau a d'ailleurs promis d'annuler l'une des mesures annoncées par M. Harper, le fractionnement du revenu pour les couples ayant des enfants de moins de 18 ans. Cette baisse d'impôts coûtera à elle seule 2 milliards de dollars par année. Le NPD, lui, promet d'augmenter le taux d'imposition des entreprises. La bataille sur l'utilisation des surplus est donc loin d'être terminée.

Trudeau suspend deux députés



Deux semaines jour pour jour après la fusillade, une nouvelle crise éclate au Parlement, qui met cette fois-ci en cause des allégations de harcèlement sexuel par des parlementaires. Deux députées du NPD se sont plaintes de gestes répréhensibles qui auraient été commis par les députés libéraux, Massimo Pacetti et Scott Andrews.

Mis au fait de la situation par l'une de ces élues néo-démocrates, le chef Justin Trudeau décide de suspendre MM. Pacetti et Andrews en attendant l'issue de l'enquête indépendante qu'il réclame au président de la Chambre des communes. Mais l'incident est à ce point inédit dans les annales parlementaires qu'aucune procédure n'est prévue pour gérer ce type de situation, qui se complique lorsque les deux députées concernées décident de ne pas porter plainte. Le chef du NPD, Thomas Mulcair, est furieux contre Justin Trudeau, qu'il accuse de ne pas avoir respecté la volonté des victimes en rendant l'affaire publique.

Bref, une histoire délicate aux rebondissements tout aussi délicats, et qui n'a pas encore trouvé de dénouement: le président de la Chambre des communes a annoncé une nouvelle procédure pour gérer ce type de situations dans l'avenir, mais en l'absence de plaintes officielles, la Chambre n'a pu entamer d'enquête sur cette affaire. Le chef libéral a donc été contraint de demander à une avocate de Toronto de faire la lumière et de débloquer l'impasse concernant l'avenir de ses deux députés.

2015, l'année des grands changements, prédit Mulcair

Le chef du NPD, Thomas Mulcair, soutient que les Canadiens ont une telle soif de changement qu'ils ne se laisseront pas séduire par des baisses d'impôts qui profiteront surtout aux plus riches et qui entraîneront inévitablement le démantèlement de services essentiels offerts par l'État.Et d'ici au 19 octobre 2015, date des prochaines élections, M. Mulcair compte faire la démonstration que le NPD est la véritable option de rechange «progressiste» au gouvernement Harper, affirmant que les libéraux de Justin Trudeau sont une pâle imitation des conservateurs, au pouvoir depuis 2006.

En entrevue à La Presse, hier, le chef du NPD a prédit que l'année 2015 sera celle des grands changements. Il a affirmé que son parti a fait ses devoirs et qu'il proposera des mesures qui trancheront avec les politiques des deux autres grands partis.

Il a cité en guise d'exemple la promesse de créer un réseau national de garderies à 15$ par jour, «qui a été super bien accueillie partout au Canada», ou celle d'augmenter le salaire minimum à 15$ l'heure dans le cas des employés travaillant pour des entreprises réglementées par le gouvernement fédéral.

À l'inverse, a souligné M. Mulcair, les conservateurs proposent des baisses d'impôts (fractionnement du revenu pour les couples ayant des enfants de moins de 18 ans) qui favoriseront 15% des familles les plus riches. En outre, le gouvernement Harper a permis aux entreprises d'embaucher des travailleurs étrangers temporaires qui sont payés 15% de moins en moyenne que les travailleurs canadiens.

Politiques «progressistes»

En entrevue, M. Mulcair a affirmé que le NPD se démarque des autres partis politiques en misant sur des politiques «progressistes». Il a soutenu que le Parti libéral semble se contenter d'attendre son tour pour prendre le pouvoir, Justin Trudeau n'ayant énoncé aucune proposition concrète à 10 mois des prochaines élections.

Il a affirmé que les libéraux et les conservateurs logent à la même enseigne dans plusieurs dossiers. Ces deux partis n'ont pas l'intention d'augmenter le taux d'imposition des sociétés, contrairement au NPD, et ils sont tous les deux favorables au projet de construction du pipeline Keystone XL, a-t-il dit.

- Joël-Denis Bellavance

PHOTO CHRIS WATTIE, REUTERS

Thomas Mulcair

Trudeau n'a aucun regret

Le Parti libéral termine l'année à égalité dans les sondages avec le Parti conservateur, après avoir subi une légère baisse dans les intentions de vote à l'échelle canadienne. Mais le chef Justin Trudeau ne s'inquiète pas de la situation et ne changerait rien à la manière dont il a géré deux des plus importants dossiers des derniers mois: l'implication militaire en Irak et les allégations de harcèlement sexuel.

«Je n'ai aucun regret», a-t-il dit en entrevue avec La Presse au sujet des allégations de harcèlement sexuel qui l'ont poussé à suspendre deux députés de son caucus. «C'est une situation difficile, pénible pour tous ceux qui sont touchés, y compris les partis politiques. Mais la réalité est que j'avais une responsabilité d'agir», a ajouté le chef libéral. Sans sa sortie publique, a-t-il affirmé, «la Chambre des communes n'aurait pas pris les actions qu'elle a fini par prendre pour établir un processus».

Le député de Papineau espère convaincre les électeurs de lui confier le pouvoir en 2015. Mais avec les nombreuses baisses d'impôts consenties par le gouvernement Harper, il pourrait retrouver les coffres assez vides.

Il a déjà indiqué qu'il annulerait le fractionnement du revenu, une mesure «qui n'aide que 15% des familles les mieux nanties».

Quant aux autres baisses d'impôts, «nous allons regarder toutes les mesures proposées par M. Harper et nous allons les évaluer pour savoir si ça aide les gens qui en ont vraiment besoin», a-t-il précisé.

- Hugo de Grandpré

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau

La crise est finie, croit Beaulieu

Mario Beaulieu estime que la crise qui a secoué le Bloc québécois depuis son élection en tant que chef en juin est bel et bien terminée.

«Les moments difficiles sont dans le passé», a-t-il dit lors d'un entretien téléphonique avec La Presse. Il affirme que les organisateurs bloquistes sont à pied d'oeuvre au Québec et que des candidatures «intéressantes» seront annoncées sous peu.

Au terme de sa première session parlementaire comme leader, M. Beaulieu reconnaît que la tâche de diriger le parti souverainiste n'est pas une mince affaire. Son expérience des derniers mois lui fait apprécier d'autant plus le travail accompli par son parti avant son arrivée. 

Mario Beaulieu accuse les partis fédéralistes d'ignorer les préoccupations du Québec, dont l'environnement et le déséquilibre fiscal. Il accuse particulièrement le NPD de dire une chose et son contraire au Québec et dans le reste du Canada.

- Hugo de Grandpré

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Mario Beaulieu